Parce que parfois, c'est ma chum Manue Babin qui s'inspire de nos soirées pour trouver des mots mieux que les miens, voici les siens...
C’était un samedi embrumé. Une
amie, un coin de bar, un verre de blanc; le nécessaire pour refaire le monde,
pour se mettre à jour. On se raconte nos amours, nos histoires sans lendemain,
ou celles de la veille qui ne finissent plus, des baisers échangés avec un
étranger, la séduction, la solitude. On parle des hommes, parfois des femmes,
des deux ensemble ou de comment s’en passer, du vide qu’ils peuvent laisser.
« On ne nait pas femme, on le devient, disait Simone, et pour y arriver,
le chemin est parsemé d’embûches. » Et nos verres se vident, et nos propos s’emballent. On devient de plus
en plus Simone.
- Si j’étais un homme, je
saurais quoi faire avec une femme.
- Ah oui, si t’étais un homme, tu
ferais quoi avec une femme?
- Je lui ouvrirais la porte, l’aiderais à mettre son
manteau, je la trouverais belle matin midi et soir sans son maquillage, les
cheveux sur un ring de boxe. Je regarderais le fond de ses yeux, tout le temps.
Je ferais en sorte qu’elle se sente unique et exceptionnelle à chaque instant.
Je lui prendrais la main en marchant, je l’aiderais à descendre de l’auto, je
lui achèterais des fleurs et lui écrirais des poèmes avec des rimes en é…c’est
plus facile. Si j’étais un homme, je serais fort, vrai, grand et tellement
beau. Je pisserais mon nom dans la neige pis je paierais des verres aux filles
qui se font belles pour sortir.
On a sorti la galanterie du
bunker et on l’a remise sur la table en se demandant quand et pourquoi on
l’avait mise là. C’est réellement quétaine d’ouvrir une porte et de regarder
passer une femme qui a les bras pleins? La femme a voulu se libérer, qu’elle
vole, on ne lui mettra plus son manteau? Ces questions sont restées sans réponse
puis on a pris la route pour changer d’air, qui était un peu froid en ce soir de novembre. En chemin,
quelques compliments lancés avec politesse nous ont redonné foi en l’humanité
et confiance en nous. C’est donc pleines d’assurance qu’on a continué cette
conversation sur un autre coin de bar avec un cocktail de fille… je sais, c’est
cliché et très sucré, mais c’est toujours une bonne entrée en matière. Ah! pis
on est des filles ou on l’est pas!
Rêvassant d’être quelqu’un
d’autre, on a laissé le cocktail nous glisser entre les dents. La place était
remplie de garçons, tous plus beaux les uns que les autres. À leurs côtés, des
filles qui s’ennuient à mourir pendant que nous, on rigole à pu finir.
On s’est fait payer un verre
parce qu’on s’était quand même mises belles pour sortir. Un verre de blanc,
meilleur et plus doux, moins sucré, plus léger. Et on a retourné la question à
celui qui avait fait un homme de lui. Et toi, si tu étais une femme, tu ferais
quoi ?
- Je serais danseuse parce
que c’est payant en estie!
- Être une femme, dit l'autre, je me
ferais belle, je me laisserais payer des verres et rentrerais seule. Je
profiterais de ce pouvoir de séduction pour faire tourner les têtes sans faire
bouger les cœurs. Je serais une agace, une solide agace qui dit toujours non.
Une aguicheuse, une coquine allumeuse, une manipulatrice.
Je vide mon verre d’un trait,
m’étouffant presque avec la dernière gorgée qu’on venait de m’offrir et je
commande une autre bouteille. Je remplis mon verre puis celui des autres assis
autour de cette discussion qui prend des airs de jupette trop courte et de nom
jaune pisse dans la neige; c’est cliché, presque vulgaire, mais intéressant.
Pour sauver la mise, le plus
mignon des trois ose dire autre chose.
- Si j’étais une fille, ça ne
changerait rien. Pour moi, le respect dans la relation reste la chose la plus
importante. L’importance de se dire du vrai, de se laisser aller pleinement et
d’être soi-même. Que tu sois fille ou garçon.
Être soi-même, vraiment? Et moi
qui rêvais justement d’être quelqu’un d’autre.
...
Pendant ce temps, non loin de là,
une fille sans défense perd la face et toute envie d’aimer un homme. Son cri
et sa douleur ont indubitablement dû déchirer la douceur de cette nuit de
novembre, mais son appel à l’aide est resté accroché au vide. Sur elle : un
homme, une main fermée, un poing sans amour, un bouquet de fleurs fanées, un
poème qui ne rime pas en é. Elle s’était mise belle pour sortir, maintenant
elle a juste envie de rentrer. Il lui a enlevé sa jupette et son estime
d’elle-même. À la place, il l’a revêtue d’une violente envie de tuer. Il aurait pu lui
faire l’amour, s’il avait été un homme, mais il lui a fait la violence. De
toute sa puissance. Il lui a pris ce qu’elle avait de plus beau et de plus
précieux; son envie d’être une femme. Pour lui : une histoire sans lendemain.
Pour elle : un lendemain sale, buriné, gravé. Un maudit long lendemain. Elle, qui pourtant se disait,
comme beaucoup d’autres : « Si j’étais un homme, j’ouvrirais la porte
aux femmes, je leur prendrais la main en marchant… »