jeudi 24 octobre 2013

Le bord de lit

Au fil de mes réflexions assez clichées sur la vieillesse naissante et ma matantisation imminente, je me suis mise à me questionner sur le couple. Et, dans un même ordre d'idée, sur mon couple. On dit que c'est normal de se poser des questions. Mais moi, j'en ai toujours beaucoup, des questions. Et pas toujours de bonnes réponses. Néanmoins, cette fois, toutefois, cependant, nonobstant (y'est dur à ben ploguer, lui...), je suis certaine que celle qui me galope dans le cerveau, vous pouvez m'aider à y répondre un peu. Voilà, je nous la pose :

Comment ça on a un bord de lit?

Je sais. Je sais, je fais naître en toi, lecteur à la curiosité insatiable, un questionnement philosophique intense dont il est impossible de freiner le rythme. Je sais. Désolée de te placer dans un tel raz-de-marée de points d'interrogation insolvables : nait-on avec ledit bord de lit? Un genre de bord de lit inné? Un côté de corps où tu te sens mieux, un flanc préféré, qui te pousse à choisir un endroit stratégique à l'heure du coucher? Un bord de lit inné, un peu comme être droitier ou gaucher? Et ce bord de lit, est-il permanent? Te suit-il toute ta vie? Pis si tu tombes sur un gars qui a le même bord de lit que toi, ton couple avec lui est-il nécessairement voué à l'échec? Peut-être. À moins que tu te prives à jamais de ton bord de lit tout en tentant de t'adapter, comme un gaucher peut devenir, à coups de règles sur les mains, droitier.

Me semble qu'avant, j'avais pas vraiment de bord de lit. Donc, néanmoins (lui aussi il fait toujours bizarre, toujours l'air imbu de lui-même, un peu trop haut dans le niveau de langage), le bord du lit ne serait pas inné. Du moins, pas pour moi. Y a-t-il des gens pour qui le bord du lit est inné et d'autres pour qui il est acquis? Assurément. J'en ai la conviction. Et, qui plus est, qu'elle ait un bord du lit très tôt ou non, dans sa vie, en dit long sur une personne, je pense. On devrait même poser cette question dans les entrevues d'embauche : "Avez-vous un côté de lit. Si oui, depuis quand?" Là, après, tu sais qui est la personne devant toi. Et mieux encore, tu sais que la personne ne te mentiras pas : il n'y a ni bonne ni mauvaise réponse, aucune raison d'adoucir la réalité. Tu ne peux que dire LA vérité et tout dévoiler, du même coup, sur ta personnalité.

Alors, premier constat : je n'ai pas toujours eu de bord de lit. Le mien n'est donc pas inné. Mais alors? Quand l'ai-je acquis? Ça vient ti en combo avec la vieillesse, un bord de lit, et on en hérite tous d'un, un jour ou l'autre, veux, veux pas? Ou bedon ça vient avec l'évolution du couple? Avec la sédentarisation? Il nous assaille, chaussé de pantoufles, arborant ses culottes de jogging, et l'évidence saute aux yeux, un soir, quand, même si ton chum n'est pas couché, tu te recroquevilles sur ton bord de lit en pensant à l'époque, pas si tant lointaine, où tu te couchais en étoile quand ta grosse journée était finie.

Il est donc préliminairement nécessaire d'être un couple pour que la vie t'attribue un bord de lit. Ben, je parle pour moi.

Pas juste un couple. Un couple sédentaire.

Ark. Je suis un couple sédentaire?! Me semble qu'il n'y a pas si longtemps, j'aurais tout fait pour ne pas avoir de bord de lit. Pour ne pas m'enliser dans un bord de matelas qui prend, au fil des années, ma forme et mon odeur. Je sais ben, j'peux tourner le matelas, ça va faire changement un peu. Mais me semble que je rêvais d'être différente, pas de faire comme tout le monde pis de me creuser un moule qui finira bien, un jour ou l'autre, par m'étouffer parce qu'il est trop tight! Horreur! Je voyage sur un chemin déjà défriché! J'ouvre des portes déjà débarrées! J'avance, avec le troupeau, sur une route déjà piétinée! Je navigue sur des eaux dans lesquelles on a déjà pissé!

Pis? Hein, pis?

Il est confortable, mon côté de lit.

Mais juste pour me prouver que je suis encore capable de vivre dangereusement, Bebé, à soir, j'couche à gauche. J'garde mon oreiller par'zemple.

lundi 7 octobre 2013

Convaincre

Convaincre. Voilà quel verbe résumerait ma vie présentement. Pourtant, je ne suis pas avocate, parlez-en à mon compte de banque. Je ne suis pas négociatrice pour la police non plus. Je ne vends ni balayeuses, ni maquillage, ni char, ni voyages, ni corps, ni âme. Néanmoins, je convaincs.

Chaque matin, c'est nécessaire, je convaincs d'abord mon corps de se lever et mes yeux de s'ouvrir. J'ai bien essayé de les laisser fermés, mais je suis moins efficace dans les escaliers. Je convaincs ensuite, à coups de collants sur un pitoyable dessin de vêtements collé maladroitement au mur, mon fils de s'habiller. Je le convaincs aussi que bien manger est important, parce que si on ne mange pas, on meurt, c'est prouvé. Je convaincs ma fille d'attacher ses souliers plutôt que de regarder ses émissions beaucoup plus divertissantes que ses lacets. Je me convaincs qu'un seul café est suffisant. Je convaincs mes enfants que leurs dents vont carier, noircir, puer, pourrir, trouer, casser et tomber s'ils ne les brossent pas. Et je me convaincs que je n'exagère pas.

Arrivée au travail, je me convaincs, le temps d'une conversation sur quelque insignifiance, que je ne suis pas dans le jus. Et je me crois. Et en classe, on pourrait croire que j'enseigne. Quand j'inscris, au tableau, ces phrases. Quand j'explique la structure d'un groupe de mots. Quand je lis un texte. Mais détrompez-vous. Je convaincs. Encore. Il faut d'abord convaincre mes élèves, qui ont bien d'autres chats à fouetter, de m'écouter. Ensuite, les convaincre de travailler, c'est une autre paire de manches. Certains sont déjà convaincus, mon travail est alors plus facile. D'autres, par contre, résistent plus, je dois alors convaincre un peu plus fort. Alors, sans cesse, je convaincs. Je convaincs mes élèves de l'importance de la précision des mots quand on tente de faire passer un message. Je les convaincs de leur capacité, insoupçonnée parfois, à comprendre la langue et sa structure. Je les convaincs, avec moult lectures et intonations, du plaisir qu'elle peut nous apporter. Je les convaincs, à grands coups de métaphores avec mon pitoyable apprentissage, si long et pénible, de la conduite automobile manuelle, que les efforts porteront fruit. Que mieux communiquer les rendra plus heureux. Que les mots permettent de séduire, de faire rire, de toucher, de frapper, de se défendre, de se vendre, d'argumenter, de convaincre. Je les convaincs aussi de prendre leur temps. Dans ce monde qui exige l'efficacité, la rapidité, je dois les convaincre de passer plusieurs minutes, voire parfois quelques heures, à se poser des questions sur le sujet d'un verbe, sur un complément, une virgule, un adjectif. Je dois les convaincre qu'une simple lettre peut faire la différence. Que chacun des mots compte. Je les convaincs de se questionner. De s'appliquer. De persévérer. De se concentrer. De réviser. De noter. De se forcer. De ne pas parler avec son voisin. Encore moins avec l'élève à l'autre bout de la classe. De ne pas égrainer son efface pour ensuite en faire pleuvoir les morceaux. De cesser de faire de l'origami. D'utiliser d'autres adverbes que "crissement" et d'autres verbes que "colisser", même si je les aime aussi, parfois, ces mots. De cesser de hurler qu'ils sont poches, parce que c'est l'opposé de ce dont je tente de les convaincre. Je convaincs du mieux que je peux. Avec des mots que j'espère convaincants, avec des yeux convaincus. Je les convaincs de ce dont je suis convaincue.

Mais parfois, je suis fatiguée de convaincre. Parce que ça en prend, de la conviction, pour convaincre. Et que cette conviction, elle ne se retrouve pas en vrac chez Walmarde. Et qu'il me semble que ma vie serait plus simple s'il n'y avait pas autant de bâtons dans mes roues. Et je me demande ce qui les a tant convaincus du contraire pour que j'aie tant de conviction à dépenser pour les convaincre. Et avant de retourner convaincre mes enfants que s'ils ne se lavent pas, ils sentiront le poisson, perdront tous leurs amis, seront malheureux et gras, devront inévitablement s'isoler, dépendront de l'argent du gouvernement pour survivre et finiront bouffés par des coquerelles, je me convaincs qu'il me reste assez de conviction pour en donner un peu, au moins, à ceux qui en manquent... Et les bâtons dans mes roues se transforment en défis. Et je me convaincs que je suis capable de les relever. Et je me convaincs d'aller me coucher. Et je convaincs mon corps de se lever... Et...