vendredi 28 février 2014

Recette d'un p'tit crisse

Malgré mon travail de prof et mon autre de mère, je n'ai ni la recette pour créer un athlète olympique (pis honnêtement, je m'en contretorche un peu, je suis loin d'avoir l'argent pour monter à Sochi!) ni celle pour créer un chanteur d'opéra, un scientifique fou, un artiste international, un militant gauchiste, un génie des mathématiques, un gourou hindouiste, un premier ministre, un communiste ou un capitaliste. (Avoue, lecteur déçu, que tu aurais aimé celle du premier ministre!)


Pourtant, en cette fin de journée qui fut des plus tumultueuses à l'école, en ce début de relâche bien méritée pour tous mes collègues à bout de souffle et pour moi-même, en train de me réanimer à coups de martinis litchi, je veux partager avec vous une recette. La seule peut-être qui existe quand on jase d'éducation d'êtres humains. Celle qui devrait figurer en première page du Mieux-Vivre qu'on nous offre à l'hôpital dans nos mains encombrées d'un bébé de deux heures qui prend le sein tout croche et nous déchire le mamelon. Non, mieux! Celle qu'on devrait faire réciter comme un hymne national à tous ceux qui ont l'ovule qui les titille ou le spermatozoïde qui sonne pour leur accorder le droit de se reproduire. (Le savais-tu, toi, lecteur perfectionniste, qu'on pouvait dire une hymne aussi?) Une recette merveilleuse, tout droit sortie de ma tête!


La recette du p'tit crisse.


En fait, il se peut que si tu ne suis pas la recette, tu réussisses quand même ton coup, lecteur dubitatif. Parce qu'il y a en d'autres, que tu peux créer : le p'tit câlisse, le p'tit tabarnac ou le p'tit Kevin (sous toutes ses formes : Keven, Kaiven, Kayvin, Kèvene...). Mais aujourd'hui, je m'attarderai au p'tit crisse, c'est mon préféré. Pis ça se met au féminin aussi. Le masculin est utilisé juste pour alléger le texte, tsé.


1- D'abord, dès sa naissance, laisse-le niaiser longtemps avant d'aller le voir quand il pleure. Il faut les endurcir, ces p'tites bêtes-là! Pas question d'en faire des tapettes. Touche-le le moins possible, il faut qu'il s'habituse : dans la vie, on avance tout seul. Si t'es vraiment dans l'mood, tu peux aussi tenter de le faire dormir dans la garnotte, mais là, on est à un niveau supérieur. S'il ne comprend pas vite et pleure toujours, mets un peu d'Amarula dans son lait.


2- Dans sa phase je-varge-sur-tout-le-monde-pour-montrer-mon-mécontentement/ma-supériorité, fais semblant d'être fâché, juste pour ne pas trop te faire juger (c'est pas tout le monde qui comprend ça, l'éducâtion!), garde quand même un ton mielleux pis sucré pour l'invectiver pis sacres-y un bec quand plus personne ne te regarde.


3- Quand il crise, fait le bacon, hurle, se pète la tête à terre volontairement, se répand sur le plancher dans sa morve et ses larmes ou te mitraille de tout ce qui peut lui tomber sous la main, surtout, ne laisse pas la frustration transparaître, lecteur impatient : il développe son caractère. Il en aura besoin dans la jungle scolaire plus tard. Ne monte surtout pas le ton. Donne-lui plutôt beaucoup d'attention. Si tu peux l'attraper au passage, donne-lui des smarties.


4- À la garderie, s'il y va, quand il mordra le dos de la petite Alice ou brutalisera son ami Marco, demande-lui gentiment "pourquoi?" à plusieurs reprises. Laisse-le changer de sujet, il apprend l'évitement, souvent utile en cas de conflits. En arrivant chez toi, donne-lui des jujubes.


5- Couche-le tard. Pis la sieste, l'après-midi, c'est pour les moumounes. Réveille-le, lecteur festif, s'il s'endort en plein party et donne-lui des chips, ça tient réveillé.


6- S'il crie dans un magasin, ne le laisse pas attirer autant d'attention sur vous, lecteur inconfortable. Achète-lui un jouet. Sinon, il pourrait ensuite se sentir lésé dans son sentiment de toute-puissance, ça développe des défaillances érectiles.


7- S'il boude, t'affirme qu'il te déteste et ne veut plus jouer avec toi, prends-le en pitié. Il te montre ainsi son désarroi. Harcèle-le, même s'il te repousse, pour qu'il redevienne ton ami. C'est bon pour son estime. Au pire, quand ça dure trop, donne-lui des skittles ou achète-lui un Ipad. Avec une carte ITunes.


8- À la maternelle, si sa prof lui donne une conséquence, appelle pour contester. Si la prof n'entend pas raison, argumente. Elle est nécessairement incompétente. Dis-le à ton enfant. Sacre au téléphone, prends ta grosse voix, lecteur autoritaire, et dis-lui comment gérer sa classe. À répéter jusqu'à l'université.


Je n'ai que peu de convictions dans la vie, lecteur incrédule, mais celle-ci est puissante. Ma recette mène incontestablement vers le p'tit crisse. Les limites, c'est pour les faibles.



samedi 22 février 2014

Iousse qu'y va, le monde?

Vendredi matin. 
3 heures de sommeil.
Pédago et café.

Quelques policiers (humm...!) et leur commandant au physique imposant viennent nous former, mes collègues et moi, sur les mesures à prendre lorsqu'un tireur entre dans une école. Pour l'occasion, j'ai trainé mon gun à eau vert fluo. Concept.

Depuis Denis Lortie en 1984, les médias nous mitraillent (désolée, lecteur insurgé, ce n'est que turlupinade, ce mot, dans ce contexte, je sais...)les médias nous mitraillent, disais-je, d'événements dramatiques, mortels, tous symptomatiques d'une société malade. La nôtre.

Depuis le début du millénaire, il ne passe pas une année sans qu'une école ne soit visitée par un tueur (https://fr.wikipedia.org/wiki/Tuerie_en_milieu_scolaire), l'année 2012 battant des records d'indignation avec sa tuerie à l'école primaire de Sandy Hook causant 28 morts dont 20 enfants.

Les raisons de ces massacres varient. Elles ne sont, à ma connaissance, ni politiques ni économiques. Elles apparaissent la plupart du temps plutôt personnelles. Parfois, elles sont inconnues. Pourtant, les tueurs semblent tous avoir quelque chose en commun.

La haine.

Bon. Je ne m'attends pas à recevoir un doctorat en sociologie pour cette découverte, je ne crois plus aux pouliches, tu le sais, lecteur accoutumé. N'empêche qu'on peut bien accuser les Internet, la musique et l'accès aux armes à feu, mais s'il n'y avait pas la haine, la vraie, la grande, LA haine, il n'y aurait pas d'abattoir. 

Quand c'est loin, c'est facile de s'insurger sans se sentir concerné.
Quand c'est aux États-Unis, c'est facile de les trouver cons.
Quand ça se rapproche, ça devient un peu moins facile.
Quand le policier t'en parle dans ton école, c'est encore possible de te persuader que ça n'arrivera pas.
Mais quand tu es seule, devant ta classe, à te questionner sur la meilleure façon d'y confiner 32 vies, ça devient un peu plus réel.

J'en connais, moi, des élèves haineux. Des parents aussi. Des gens.

Et les scénarios se bousculent parce que l'imagination est un terreau fertile et que la graine était déjà semée depuis longtemps et qu'on vient tout juste de l'arroser, de s'assurer qu'elle a du soleil. On a même mis un peu d'engrais. Et la scène se forme. Et les réactions semblent un peu plus concrètes. Les visages. Les yeux. Et les cris. Les pleurs. Le bruit des bureaux, des chaises. Et la peur qui croît. La panique qu'il faut contrôler. Et le sang peut-être. L'incompréhension ensuite. Les dégâts. Et là, il faut convaincre son cerveau que les risques sont minimes. Que ce n'est qu'une préparation mentale. Que l'image ne sert qu'à savoir quoi faire, comme lors d'une pratique de feu. Sauf que le feu, lui, il n'a pas pris la décision de tuer des gens. Il n'est que ce qu'il est, c'est tout. Il détruit comme il peut sauver une vie. Mais l'homme, lui, il tire et il sait. Il sait la douleur. Il sait la peur. Il sait la mort. Et il les choisit.

C'est quand ma tête déraille et assied mes enfants dans cette même classe où il faut confiner 32 vies que je disjoncte. Je peux me placer dans cette situation. J'assume. Mais pas mes enfants.

Et moi qui ai toujours exécré ces phénomènes de phobie sociale, moi qui n'ai pas voulu faire vacciner ma fille et mon foetus lors de la folie H1N1, moi qui ai toujours ri des États-Unis et de leurs détecteurs de métal dans les écoles, moi qui les traite de névrosés paranoïaques en les contemplant s'armer pour se protéger, moi qui étais persuadée que le virus du Nil était le fruit d'un mythomane, moi qui ai toujours été convaincue qu'un peuple qui a peur est un peuple soumis, moi, cette même moi, en pensant à mes enfants assis dans cette classe, cette bibliothèque ou cette cafétéria, je fonds, je m'écroule, je court-circuite : construisons des écoles anti-balles, enfermons tous les impulsifs, abolissons la haine à coup de pilules du bonheur, installons des caméras de surveillance dans toutes les maisons, barricadons-nous, protégeons-nous ou sauvons-nous!!!!

Et là, je convaincs mon cerveau de se calmer le terreau, il faut le mettre en jachère quelques minutes.

Et je me demande iousse qu'y va le monde. 
Et par iousse qu'il faut aller, pour ne pas aller là où il va?
Iousse qu'y va, le monde, qu'on puisse l'éviter, lui pis sa grosse gastro généralisée?
Iousse qu'y va, le monde, question qu'on le sache et qu'on puisse s'en aller à l'opposé?





dimanche 2 février 2014

Vieux yeux



Peut-être que j’me trompe, peut-être que chu dans l’champ. Peut-être qu’au fond, j’ai rien compris, que c’est désolant. Peut-être que c’que j’vois dans leurs mouvements, leur désenchantement, leur désintéressement, leur désillusionnement, c’est un leurre, que du vent. Peut-être. Peut-être pas non plus. Je sais pas. Je sais plus.

Parce que je suis de plus en plus loin, je vieillis. Et qu’avec ces yeux d’adultes, on n’y voit pas toujours clair. On regarde de loin, on préjuge, on peut pas croire, on sermonne, mais on se souvient, quand même, un tout p’tit peu. On se souvient que jadis, on adolesçait un peu, en moins pire c’est certain, mais jadis, nous adolesçâmes. Ah! Nous fûmes ben mieux, nombrilise-t-on, pas si tant pire, juste assez. Et on regarde de loin, dans notre temps, avec nos yeux de vieux qui ne voient plus tant qu’ça, du moins pas aussi loin que ça, parce qu’on vieillit, et on voit tout brouille et on s’engaillardit l’image du passé et on se désole pour eux parce qu’au fond, on voudrait mieux pour eux.


Pourtant, quand on regarde mieux avec nos yeux usés ces grands enfants, ces petits adultes derrière leur pupitre, on voit bien qu’ils ne veulent pas ce qu’on veut. Et parfois, tout ce qu’ils veulent, c’est le contraire. Le contraire de n’importe quoi. Alors on dit oui, juste pour voir, et ils disent non. Et on comprend, quand on regarde mieux avec nos yeux de fossiles qui voient bien juste ce qu’ils veulent bien voir. On voit bien, à moins que j’me trompe. On voit leur grand corps, leur corps de grand, dans lequel ils sont encore tout petits. On voit leur armure, de plus en plus solide, mais dans laquelle, c’est encore un peu fragile. Et on se convainc un tout p’tit peu que nous fûmes bien plus solides.

On le voit, quand on met nos lunettes de myopes périmés. On le voit qu’ils veulent être adultes, mais pas trop, ne sont plus des enfants, mais pas tant qu’ça, qu’ils sont presque grands, mais pas vraiment. Et on arrête de préjuger quelques minutes. Et là, parfois, on voit mieux. Et on les aime un peu. Parce que ces grands enfants qui contrarient, c’est quand on arrête de préjuger, c’est quand on les regarde mieux, même avec nos vieux yeux, qu’on aime ce qu’on voit, même si on est loin, même si on a un peu dérivé dans l’temps.
Et si on les observe, de notre regard ancestral, et qu’on les aime mieux, on voit parfois l’enfant, parfois le fragile qu’ils cachent tant, pourtant si attendrissant, qu’ils préfèrent dissimuler sans toutefois vouloir quitter. Et on se demande, désuets philosophes, pourquoi il faut vieillir pour avoir envie de rajeunir.