lundi 30 décembre 2013

CUITI : Charte d'Utilisation Intelligente du Téléphone Intelligent

Ça y est. Je n'ai pas le choix. J'ai cherché une autre façon de commencer mon texte, mais aucune ne dit mieux ce que j'ai à dire. Pardonne-moi à l'avance, lecteur à la recherche d'originalité, d'utiliser ce cliché. Je m'étais juré de ne jamais m'approprier ces mots, il y en a tellement d'autres qui ne demandent qu'à être écrits. Déjà que je m'énerve quand je les utilise à l'oral, je m'apprête en plus à les écrire. Mais tu le sais, lecteur résiliant, qu'il n'y a que les fous qui changent d'idées... ou quelque chose comme ça... Alors voilà, je plonge.

Quand j'étais jeune...

OUCH! Ça fesse hein! Je le sais, lecteur abasourdi, que tu es ébranlé. Je te laisse quelques virgules pour te relever de cet upercut sur la mâchoire, de ce complément de phrase dans les dents, de cette subordonnée assommante et inattendue. Et quand tu seras debout, je te demanderai de t'asseoir, lecteur pantois, parce que je recommencerai. Voilà. Tu es prêt?

Quand j'étais jeune, (je sais, je sais, ce n'est pas facile, mais continue à lire et tu oublieras peut-être que je viens d'écrire ces mots!) j'utilisais les livres comme contenance sociale. (Ah, là, tu vois, je viens d'utiliser un mot plus compliqué auquel tu devrais porter attention plus qu'à mon complément de phrase que tu tentes en vain d'oublier.) Je t'explique. En société, on aime bien avoir l'air occupé. Attendre, seul, peut certes nous paraitre ennuyant. Mais attendre, seul, est pire encore si nos mains sont inoccupées. Tout part des mains, j'en suis persuadée. Elles sont jalouses des pieds. Eux, ils ont toujours un rôle important: nous tenir en place, marcher, glisser, taper impatiemment, grattouiller la neige, botter un caillou, varger dans le mur... (Essaye pas, lecteur outré, je t'ai vu faire l'autre jour!) La jalousie des mains nous porte à nous donner des contenances sociales de toutes sortes. La cigarette en est un bon exemple: s'occuper les mains, peu importe comment, peu importe avec quoi, quitte à s'empoisonner avec, on s'en fout, pourvu que nos mains, éternelles gamines de quatre ans pendues après leur mère, cessent leurs puériles revendications. Tu les entends toi aussi, lecteur schizophrène: "C'est loooooooong! Je pendouille, moi! J'ai fini de me balancer, là. Je veux faire autre choooooose. C'est looooooooong!" Et pour éviter la crise, on achète la paix. On le sait, qu'à long terme, on ne leur apprend pas à patienter. Mais on n'a pas envie qu'elles nous giflent comme la dernière fois. Alors, on les occupe comme on peut. 

Et moi, quand j'étais jeune (voilà, je remets ça...! tu l'avais oubliée, ma complétive, hein!?), j'utilisais les livres comme contenance sociale. Quand mes mains étaient jalouses, je lisais. Un roman, de préférence, une boite de céréales ou une étiquette de bobettes en cas d'extrême nécessité. N'importe où, n'importe quand. C'est ce qu'il y a de bien avec les livres, ils ne laissent jamais nos mains s'ennuyer. Par contre, mes doigts ont aussi appris à passer le temps autrement. Au resto, par exemple, ils faisaient des pièces de théâtre avec les ustensiles. Et dans les bars, parce qu'il m'est arrivé d'y aller quelquefois, je faisais tournoyer mon verre sur lui-même comme à un bal ou encore j'émiettais les écales de peanut en morceaux minuscules. Mes mains étaient heureuses, même si elles n'avaient pas toujours un livre entre les phalanges.

Je te raconte ça, lecteur dubitatif, parce que j'ai vieilli. Et que le livre comme contenance sociale est un phénomène dépassé, démodé, un peu comme Patrick Bourgeois: on sourit quand on se souvient qu'il existe, mais on n'en veut plus vraiment dans notre quotidien. Il a été remplacé. Il a un suppléant puissant, qui tient dans la paume et remplit sensiblement le même rôle: désennuyer nos métacarpes jaloux. Tu sais déjà de quoi je parle, lecteur perspicace: le téléphone intelligent.

Il est partout, tu le sais. Je dois être la seule, parce qu'il s'est noyé dans une mer de lait il y a un an, à ne pas en avoir. Et je m'inquiète qu'il n'y ait pas encore de règles, écrites ou non, qui gèrent son utilisation. Ah, je les vois, tes yeux au ciel. Et je t'entends me dire que jamais personne n'a géré l'utilisation de mes livres, dans mon temps, faque je devrais lâcher mon rôle de prof contrôlante pour aller boire un thé relaxant avec un peu de vodka dedans en dansant, collier de fleurs au cou, sur des tounes de la compagnie Créole. Moi je te rétorque que c'est déjà fait, tu n'es pas original. Et parce que mon livre, lui, je ne le lisais pas en conduisant, je juge ces règles nécessaires et donc je suis, ne t'en déplaise, rendue à écrire la Charte d'Utilisation Intelligente du Téléphone Intelligent. La CUITI.

1. Dans le téléphone, il y a ta vie VIRTUELLE, qu'on appelle. Cette vie se trouve dedans les Internets qui sont dedans le téléphone. Elle s'oppose (ou elle complète, selon les perceptions) à ce qu'il y a en dehors, la vie RÉELLE. C'est important de distinguer.

2. Combiner conduite automobile et vie virtuelle est interdit. Tu pourrais tuer quelqu'un dans la vie réelle. (Et non, ledit quelqu'un ne pourra pas demander à ses amis facebook une autre vie réelle.)

3. À moins que ta vie virtuelle ne serve à sauver une vie réelle, la vie réelle passe avant la vie virtuelle. Surtout au resto.

4.  Mélanger six martinis, trois shooters de Goldschläger, quatre bières et cinq verres de vin à ta vie virtuelle n'est pas une meilleure idée qu'à ta vie réelle. Parce qu'il parait que les paroles s'envolent, mais que les écrits restent, ferme la gueule à tes doigts quand ils auront envie de texter en état d'ébriété.

5.  Tourne sept fois ton index dans les airs avant de sortir ton cell : s'il te semble inapproprié de sortir un livre et de t'y mettre les yeux, il n'est pas plus approprié de sortir ton cell.


C'est une ébauche seulement, lecteur virtuel. À mon avis, la CUITI n'a pas besoin d'être longue, elle a juste besoin d'être. Néanmoins, tu pourrais ajouter des points, comme ça je ne serais pas la seule à me faire lancer des roches...




mardi 3 décembre 2013

Contrariété mollissante

On a tous, tu en conviendras, lecteur belligérant, un petit côté rebelle plus ou moins intense. D'ailleurs, dans nos phases intenses, on dit de nous que nous sommes en crise : crise du Terrible Two, crise d'adolescence... Crises caractérisées par l'opposition, on le sait. Personne n'est original, nous y passons tous. Et pis on vieillit : on se carte de crédise, on se lave-vaissellise, on se multiplie pis, pas le choix, on se responsabilise, on se pantouflise un peu, on s'enlise parfois, on se platifie inévitablement.  Bref, on se moumounifie parce qu'on s'assagit.

Néanmoins, avoue, lecteur honnête, que tu recherches toi aussi, parfois, malgré ta matantisation (ou ta mononclisation, selon...), le sentiment de pouvoir que te procure une bonne opposition gratuite. Quand même, pars pas en peur, lecteur offusqué, je sais bien que tu n'es pas du genre à devenir acteur porno alors que tu travailles dans une école juste pour contredire tes patrons! Je le sais, aussi, que tu ne fais rien de dangereux comme passer sur un stop alors que ce n'est pas ton tour ou empêcher un sympathique conducteur d'entrer sur l'autoroute sous prétexte que c'est lui qui a un céder à faire. Nenon. Je parle d'opposition éthique, légale, mais tout de même satisfaisante. Oui oui, souviens-toi, après avoir ouvert volontairement par le coin gauche le jambon tranché alors que le paquet te sommait clairement de l'ouvrir ici, à droite, souviens-toi de ton sentiment de toute-puissance! Toi, tu ne t'en laisses pas imposer par une compagnie de jambon, oh non! Et que dire de la fois, lecteur insoumis, où tu n'as pas suivi la recette de Ricardo et que tu as mis de la sauce Worcestershire au lieu du vinaigre de vin dans le tartare, à quel point tu te sentais compétent. Tu vis dangereusement, lecteur prétentieux! Et avoue que certains matins, tu te lèves volontairement du pied gauche, juste pour provoquer un peu le destin, pour lui prouver que t'es capable d'avoir une bonne journée quand même. Que tu piles sur les lignes du trottoir pour braver l'interdit. Que tu te garoches pour choisir le chiffre 13 pour faire le contraire de tout le monde. Avoue, lecteur séditieux, qu'il t'arrive de dire noir quand l'autre dit blanc juste pour le plaisir de faire du gris.

Ne t'en fais pas. Ce sont des relents acceptables de ton adolescence, alors que tu rasais tes cheveux si tu es une fille ou te les faisais pousser si tu es un garçon. C'est une façon saine de t'affirmer en tant que personne à part entière, indépendante d'une compagnie de jambon, d'une recette de tartare ou d'un stupide destin.

Cependant, personnellement, je le vois bien : ma tendance à la contestation se ramollit sérieusement avec le temps. J'ai l'assagissement un peu trop vigoureux. Je plie de plus en plus facilement. J'ai la soumission de plus en plus aisée.

La première fois, c'était pendant la folie H1N1. J'ai beaucoup lu. Trop lu. Des études, des cas vécus de vaccins qui ont mal tourné, d'enfants à jamais hypothéqués, de parents convaincus de la corrélation entre l'incapacité de leur enfant à communiquer et le vaccin qu'il avait reçu. On tentait de me faire peur avec cette pandémie. On tentait de m'imposer un vaccin sans me renseigner sur les risques réels. Un peuple qui a peur, c'est un peuple soumis, crois-je. Et il était hors de question que je me soumette à cette peur. Je ne me ferais pas vacciner, un point c'est tout. Après tout, j'étais en santé. Par contre, j'étais aussi enceinte. Et c'est là que je me suis mise à fondre telle un Mr Freeze sur une table de péssio. Ma peur affrontait mes convictions. Imagine la scène, lecteur compréhensif. Sur le ring : ma peur d'un bord. Derrière, la population en entier qui l'encourage, bras levés, scandant des slogans ridicules. Et de l'autre, mes convictions. Rabougries, affaiblies, seules survivantes d'une crise d'adolescence de plus en plus loin. Ma peur a gagné. Je nous ai fait vacciner, mon fœtus et moi, gênée d'avoir fléchi.

Et puis aujourd'hui encore, je ne suis pas fière, j'ai encore capitulé, lecteur indulgent. J'aimais bien la légende, c'est vrai. J'aimais bien la magie autour de l'idée. Pourtant, j'exécrais particulièrement toute cette stratégie marketing, tout cet engouement dans le but évident d'inciter la population, encore et toujours, à acheter, à dépenser, à cracher de l'argent gagné à la sueur de son front pour une insipide bébelle. Il n'était pas question que je me soumette au poids du nombre, cette fois. J'allais résister. Je serais le chêne, pas le roseau. Mais ma fille a vu trainer, sur le comptoir, la minuscule tuque apposée par la SAQ sur la bouteille de vin que venait d'ouvrir son papa. Et ses yeux se sont allumés. Et la magie a opéré. Elle a immédiatement compris, de toute sa vivacité d'esprit. Et elle s'est empressée de courir partout en préparant son plan, le piège qu'elle mettrait en place pour l'attraper. Et j'ai cédé : j'en ai acheté un, malgré mon esprit de contradiction, un freakin lutin.

Voilà. Avant, j'avais des principes. Maintenant, j'ai des enfants.