lundi 30 décembre 2013

CUITI : Charte d'Utilisation Intelligente du Téléphone Intelligent

Ça y est. Je n'ai pas le choix. J'ai cherché une autre façon de commencer mon texte, mais aucune ne dit mieux ce que j'ai à dire. Pardonne-moi à l'avance, lecteur à la recherche d'originalité, d'utiliser ce cliché. Je m'étais juré de ne jamais m'approprier ces mots, il y en a tellement d'autres qui ne demandent qu'à être écrits. Déjà que je m'énerve quand je les utilise à l'oral, je m'apprête en plus à les écrire. Mais tu le sais, lecteur résiliant, qu'il n'y a que les fous qui changent d'idées... ou quelque chose comme ça... Alors voilà, je plonge.

Quand j'étais jeune...

OUCH! Ça fesse hein! Je le sais, lecteur abasourdi, que tu es ébranlé. Je te laisse quelques virgules pour te relever de cet upercut sur la mâchoire, de ce complément de phrase dans les dents, de cette subordonnée assommante et inattendue. Et quand tu seras debout, je te demanderai de t'asseoir, lecteur pantois, parce que je recommencerai. Voilà. Tu es prêt?

Quand j'étais jeune, (je sais, je sais, ce n'est pas facile, mais continue à lire et tu oublieras peut-être que je viens d'écrire ces mots!) j'utilisais les livres comme contenance sociale. (Ah, là, tu vois, je viens d'utiliser un mot plus compliqué auquel tu devrais porter attention plus qu'à mon complément de phrase que tu tentes en vain d'oublier.) Je t'explique. En société, on aime bien avoir l'air occupé. Attendre, seul, peut certes nous paraitre ennuyant. Mais attendre, seul, est pire encore si nos mains sont inoccupées. Tout part des mains, j'en suis persuadée. Elles sont jalouses des pieds. Eux, ils ont toujours un rôle important: nous tenir en place, marcher, glisser, taper impatiemment, grattouiller la neige, botter un caillou, varger dans le mur... (Essaye pas, lecteur outré, je t'ai vu faire l'autre jour!) La jalousie des mains nous porte à nous donner des contenances sociales de toutes sortes. La cigarette en est un bon exemple: s'occuper les mains, peu importe comment, peu importe avec quoi, quitte à s'empoisonner avec, on s'en fout, pourvu que nos mains, éternelles gamines de quatre ans pendues après leur mère, cessent leurs puériles revendications. Tu les entends toi aussi, lecteur schizophrène: "C'est loooooooong! Je pendouille, moi! J'ai fini de me balancer, là. Je veux faire autre choooooose. C'est looooooooong!" Et pour éviter la crise, on achète la paix. On le sait, qu'à long terme, on ne leur apprend pas à patienter. Mais on n'a pas envie qu'elles nous giflent comme la dernière fois. Alors, on les occupe comme on peut. 

Et moi, quand j'étais jeune (voilà, je remets ça...! tu l'avais oubliée, ma complétive, hein!?), j'utilisais les livres comme contenance sociale. Quand mes mains étaient jalouses, je lisais. Un roman, de préférence, une boite de céréales ou une étiquette de bobettes en cas d'extrême nécessité. N'importe où, n'importe quand. C'est ce qu'il y a de bien avec les livres, ils ne laissent jamais nos mains s'ennuyer. Par contre, mes doigts ont aussi appris à passer le temps autrement. Au resto, par exemple, ils faisaient des pièces de théâtre avec les ustensiles. Et dans les bars, parce qu'il m'est arrivé d'y aller quelquefois, je faisais tournoyer mon verre sur lui-même comme à un bal ou encore j'émiettais les écales de peanut en morceaux minuscules. Mes mains étaient heureuses, même si elles n'avaient pas toujours un livre entre les phalanges.

Je te raconte ça, lecteur dubitatif, parce que j'ai vieilli. Et que le livre comme contenance sociale est un phénomène dépassé, démodé, un peu comme Patrick Bourgeois: on sourit quand on se souvient qu'il existe, mais on n'en veut plus vraiment dans notre quotidien. Il a été remplacé. Il a un suppléant puissant, qui tient dans la paume et remplit sensiblement le même rôle: désennuyer nos métacarpes jaloux. Tu sais déjà de quoi je parle, lecteur perspicace: le téléphone intelligent.

Il est partout, tu le sais. Je dois être la seule, parce qu'il s'est noyé dans une mer de lait il y a un an, à ne pas en avoir. Et je m'inquiète qu'il n'y ait pas encore de règles, écrites ou non, qui gèrent son utilisation. Ah, je les vois, tes yeux au ciel. Et je t'entends me dire que jamais personne n'a géré l'utilisation de mes livres, dans mon temps, faque je devrais lâcher mon rôle de prof contrôlante pour aller boire un thé relaxant avec un peu de vodka dedans en dansant, collier de fleurs au cou, sur des tounes de la compagnie Créole. Moi je te rétorque que c'est déjà fait, tu n'es pas original. Et parce que mon livre, lui, je ne le lisais pas en conduisant, je juge ces règles nécessaires et donc je suis, ne t'en déplaise, rendue à écrire la Charte d'Utilisation Intelligente du Téléphone Intelligent. La CUITI.

1. Dans le téléphone, il y a ta vie VIRTUELLE, qu'on appelle. Cette vie se trouve dedans les Internets qui sont dedans le téléphone. Elle s'oppose (ou elle complète, selon les perceptions) à ce qu'il y a en dehors, la vie RÉELLE. C'est important de distinguer.

2. Combiner conduite automobile et vie virtuelle est interdit. Tu pourrais tuer quelqu'un dans la vie réelle. (Et non, ledit quelqu'un ne pourra pas demander à ses amis facebook une autre vie réelle.)

3. À moins que ta vie virtuelle ne serve à sauver une vie réelle, la vie réelle passe avant la vie virtuelle. Surtout au resto.

4.  Mélanger six martinis, trois shooters de Goldschläger, quatre bières et cinq verres de vin à ta vie virtuelle n'est pas une meilleure idée qu'à ta vie réelle. Parce qu'il parait que les paroles s'envolent, mais que les écrits restent, ferme la gueule à tes doigts quand ils auront envie de texter en état d'ébriété.

5.  Tourne sept fois ton index dans les airs avant de sortir ton cell : s'il te semble inapproprié de sortir un livre et de t'y mettre les yeux, il n'est pas plus approprié de sortir ton cell.


C'est une ébauche seulement, lecteur virtuel. À mon avis, la CUITI n'a pas besoin d'être longue, elle a juste besoin d'être. Néanmoins, tu pourrais ajouter des points, comme ça je ne serais pas la seule à me faire lancer des roches...




mardi 3 décembre 2013

Contrariété mollissante

On a tous, tu en conviendras, lecteur belligérant, un petit côté rebelle plus ou moins intense. D'ailleurs, dans nos phases intenses, on dit de nous que nous sommes en crise : crise du Terrible Two, crise d'adolescence... Crises caractérisées par l'opposition, on le sait. Personne n'est original, nous y passons tous. Et pis on vieillit : on se carte de crédise, on se lave-vaissellise, on se multiplie pis, pas le choix, on se responsabilise, on se pantouflise un peu, on s'enlise parfois, on se platifie inévitablement.  Bref, on se moumounifie parce qu'on s'assagit.

Néanmoins, avoue, lecteur honnête, que tu recherches toi aussi, parfois, malgré ta matantisation (ou ta mononclisation, selon...), le sentiment de pouvoir que te procure une bonne opposition gratuite. Quand même, pars pas en peur, lecteur offusqué, je sais bien que tu n'es pas du genre à devenir acteur porno alors que tu travailles dans une école juste pour contredire tes patrons! Je le sais, aussi, que tu ne fais rien de dangereux comme passer sur un stop alors que ce n'est pas ton tour ou empêcher un sympathique conducteur d'entrer sur l'autoroute sous prétexte que c'est lui qui a un céder à faire. Nenon. Je parle d'opposition éthique, légale, mais tout de même satisfaisante. Oui oui, souviens-toi, après avoir ouvert volontairement par le coin gauche le jambon tranché alors que le paquet te sommait clairement de l'ouvrir ici, à droite, souviens-toi de ton sentiment de toute-puissance! Toi, tu ne t'en laisses pas imposer par une compagnie de jambon, oh non! Et que dire de la fois, lecteur insoumis, où tu n'as pas suivi la recette de Ricardo et que tu as mis de la sauce Worcestershire au lieu du vinaigre de vin dans le tartare, à quel point tu te sentais compétent. Tu vis dangereusement, lecteur prétentieux! Et avoue que certains matins, tu te lèves volontairement du pied gauche, juste pour provoquer un peu le destin, pour lui prouver que t'es capable d'avoir une bonne journée quand même. Que tu piles sur les lignes du trottoir pour braver l'interdit. Que tu te garoches pour choisir le chiffre 13 pour faire le contraire de tout le monde. Avoue, lecteur séditieux, qu'il t'arrive de dire noir quand l'autre dit blanc juste pour le plaisir de faire du gris.

Ne t'en fais pas. Ce sont des relents acceptables de ton adolescence, alors que tu rasais tes cheveux si tu es une fille ou te les faisais pousser si tu es un garçon. C'est une façon saine de t'affirmer en tant que personne à part entière, indépendante d'une compagnie de jambon, d'une recette de tartare ou d'un stupide destin.

Cependant, personnellement, je le vois bien : ma tendance à la contestation se ramollit sérieusement avec le temps. J'ai l'assagissement un peu trop vigoureux. Je plie de plus en plus facilement. J'ai la soumission de plus en plus aisée.

La première fois, c'était pendant la folie H1N1. J'ai beaucoup lu. Trop lu. Des études, des cas vécus de vaccins qui ont mal tourné, d'enfants à jamais hypothéqués, de parents convaincus de la corrélation entre l'incapacité de leur enfant à communiquer et le vaccin qu'il avait reçu. On tentait de me faire peur avec cette pandémie. On tentait de m'imposer un vaccin sans me renseigner sur les risques réels. Un peuple qui a peur, c'est un peuple soumis, crois-je. Et il était hors de question que je me soumette à cette peur. Je ne me ferais pas vacciner, un point c'est tout. Après tout, j'étais en santé. Par contre, j'étais aussi enceinte. Et c'est là que je me suis mise à fondre telle un Mr Freeze sur une table de péssio. Ma peur affrontait mes convictions. Imagine la scène, lecteur compréhensif. Sur le ring : ma peur d'un bord. Derrière, la population en entier qui l'encourage, bras levés, scandant des slogans ridicules. Et de l'autre, mes convictions. Rabougries, affaiblies, seules survivantes d'une crise d'adolescence de plus en plus loin. Ma peur a gagné. Je nous ai fait vacciner, mon fœtus et moi, gênée d'avoir fléchi.

Et puis aujourd'hui encore, je ne suis pas fière, j'ai encore capitulé, lecteur indulgent. J'aimais bien la légende, c'est vrai. J'aimais bien la magie autour de l'idée. Pourtant, j'exécrais particulièrement toute cette stratégie marketing, tout cet engouement dans le but évident d'inciter la population, encore et toujours, à acheter, à dépenser, à cracher de l'argent gagné à la sueur de son front pour une insipide bébelle. Il n'était pas question que je me soumette au poids du nombre, cette fois. J'allais résister. Je serais le chêne, pas le roseau. Mais ma fille a vu trainer, sur le comptoir, la minuscule tuque apposée par la SAQ sur la bouteille de vin que venait d'ouvrir son papa. Et ses yeux se sont allumés. Et la magie a opéré. Elle a immédiatement compris, de toute sa vivacité d'esprit. Et elle s'est empressée de courir partout en préparant son plan, le piège qu'elle mettrait en place pour l'attraper. Et j'ai cédé : j'en ai acheté un, malgré mon esprit de contradiction, un freakin lutin.

Voilà. Avant, j'avais des principes. Maintenant, j'ai des enfants.


samedi 16 novembre 2013

Crisse que ça aime

C'est fou. Quand ça monte. C'est intense. Ça nait de n'importe quoi. D'un petit quelque chose. D'un moment où ils nous font sourire. Et ça monte. Ça gonfle. Ça envahit. Et ça finit souvent par faire piquer les yeux un peu. Ça nait à l'improviste, ça ne crie pas gare. C'est un cheveu sur la soupe... Que dis-je! La perruque au complet qui nage dedans.
 
Ça pogne n'importe où. Au coin de la rue, à les voir s'ébahir des lumières de Noël installées chez les voisins. Ou dans l'allée de l'épicerie, avec eux dans l'panier, à écouter leurs petites voix incessantes qui empêchent de se concentrer. Ou dans le char, quand ils nous enjoignent de ne pas tourner là, que c'était écrit qu'on n'a pas le droit faque ce serait mieux si on ne le faisait pas, pis quand ils revendiquent la vérité à savoir si le flasheur avait véritablement été mis pour tourner à gauche, ou bedon quand ils nous somment d'attacher notre ceinture parce que le bip bip bip insistant du stooleur-de-ceinture-pas-attachée nous trahit. Ou encore dans une chambre, le matin, quand ils arrivent en courant pis qu'ils viennent prendre toute la place dans notre lit en nous piétinant et en nous rentrant des coudes dans les yeux. Pis en les écoutant rire de jokes de pipi-patate-rot-pète avec leur haleine du matin. Même en-dessous de la table, en ramassant la moitié du biscuit en tites graines après un repas. N'importe où.
 
Pis n'importe quand aussi. Comme un éléphant dans un jeu de quille. Même la nuit des fois. Inévitablement, ça surprend en les regardant dormir. Leur corps tellement calme. Leur respiration tellement lente, régulière. Tout le contraire de celle du jour. Leurs yeux, fermés sur un monde qu'eux seuls perçoivent : des licornes, des camions de poubelles, des joueurs de hockey, des monstres bleu picoté orange. Et là, ça enfle à vue d'œil. Ça grossit. Ça submerge. Ça inonde. C'est fort. Pis doux en même temps. Pis à un moment donné, c'est impossible de l'en empêcher, notre main se pose sur leur  petite tête. Et elle s'y attarde, parce que le jour, ils bougent trop et que là ils sont calmes. Et pis quand on a l'dos en compote d'être penché par-dessus eux, on va se coucher, le cœur gavé. Plein.
 
Pis on constate, en s'affalant dans notre lit, qu'il n'y a rien de plus grand. Qu'il n'y a rien de plus important. Que c'est inconditionnel. Que c'est prenant, envahissant. Pis que dans l'fond, maudit qu'on l'savait pas avant : crisse que ça aime, un parent!

jeudi 7 novembre 2013

Le loup pour l'homme

Il a les yeux qui veulent sortir de leur orbite. Il a des veines du front dans lesquelles je vois battre son cœur. Il a les muscles du cou raides et saillants, les lèvres pincées de celui qui retient ses mots, le corps arc-bouté vers l'avant, un tigre prêt à bondir. Et l'autre arbore un sourire subtil, mais satisfait. Il a touché le point faible, tourné le couteau dans la plaie, atteint l'estime défaillante, et il est content. Il est fort d'avoir affaibli. Il a endurci son image, nonchalantisé son attitude. Sournoisement, délibérément écrasé le masque fragile de l'autre.

Dans le brouhaha de la remise des dictées, je n'ai pas entendu les mots. Mais j'ai vu les corps. L'un, meurtri, l'autre, victorieux.

"Qu'est-ce qui se passe?" aboie-je en direction du conquérant au sourire suffisant.

Silence. Tous se retournent vers la scène, trop d'attention en même temps sur autant d'émotion. Les veines vont exploser. J'offre à toute cette colère d'aller trouver un peu de calme à l'extérieur de la classe. Non. "Non", qu'il mugit, du fond de la classe. Est-il certain? parce que je pense que ça pourrait lui faire du bien. "Ça va", s'étrangle-t-il, les mains agrippées à son pupitre, les jointures blanches d'avoir envoyé trop de sang dans ses yeux.

Chuchotements. Commentaires furtifs. Yeux interrogateurs dans ma direction. Décision : détourner l'attention. Ok tout le monde : verbe conjugué, groupe sujet. Vérification oculaire vers les muscles saillants qui se détendent tranquillement. Groupe complément de phrase, virgule. Vérification furtive vers le sourire arrogant disparu du visage. Prédicat, complément du verbe. Vérification insistante sur les yeux exorbités retournés dans leur orbite. Coordination de phrases syntaxiques. Calme.

La cloche chantonne sa musique habituelle. Des sacs se remplissent, des voix montent, des zippers aussi, quelques aurevoirs précipités sont lancés, brouhaha caractéristique de fin de cours.

- Qu'est-ce qui s'est passé? interroge-je en direction du visage vainqueur duquel le sourire a disparu.
- Je lui ai posé une question sur sa note pis il a pogné les nerfs, madame, gazouille-t-il en prenant l'air innocent du chat Potté dans Shrek, son sac, ses cliques et ses claques.

Doute. Derniers élèves qui sortent.

- Il fait ça dans presque tous les cours, madame, fulmine une élève, la dernière, restée pour m'expliquer ce que je n'avais pas pu lire sur les corps. Il s'arrange pour voir sa note juste parce qu'il sait qu'Alex est déçu pis que ça le fait chier d'avoir des mauvaises notes. Pis après, il rit de sa note, faqu'Alex pogne les nerfs pis a envie de péter sa coche, et c'est là qu'il a l'air de trouver ça le plus drôle.

- Ah... il provoque un show...

- Pourquoi il fait ça, hein, madame?

Ouin. Pourquoi? Je ne la comprends pas, cette satisfaction à voir l'autre démoli. Je ne crois plus aux pouliches depuis longtemps, t'inquiète lecteur incrédule devant ma naïveté. Cependant, j'ai toujours pensé comme Piché, que les enfants c'était pas vraiment vraiment méchants, qu'ils peuvent mal faire, faire mal de temps en temps... par ignorance, pas pour blesser. Quand est-ce qu'ils commencent à faire mal par méchanceté, à mal faire volontairement? Elle disparait quand, cette belle innocence de l'enfance? Il apparait quand, ce besoin animal de faire son territoire, d'être fort, d'écraser? Elle commence quand, la jungle? Peut-on réellement sortir l'animal de l'humain ou est-ce une cause perdue? "L'homme est un loup pour l'homme", péroraient Plaute, Érasme, Rabelais et Montaigne. Il peut cracher, il peut mentir, il peut voler. Au fond, il peut faire tout c'qu'on lui apprend, ajoutait Piché. Mais lui apprend-on vraiment cette satisfaction devant la détresse de l'autre?

"Parce que c'est une façon facile et rapide de se trouver fort?" ânonne-je, à défaut d'avoir une meilleure réponse.

"En tout cas, moi je suis plus fière de faire partie de celles qui se font intimider que de ceux qui intimident", grogne-t-elle avant de quitter, me laissant seule, pantoise.

Ça fait réfléchir.



jeudi 24 octobre 2013

Le bord de lit

Au fil de mes réflexions assez clichées sur la vieillesse naissante et ma matantisation imminente, je me suis mise à me questionner sur le couple. Et, dans un même ordre d'idée, sur mon couple. On dit que c'est normal de se poser des questions. Mais moi, j'en ai toujours beaucoup, des questions. Et pas toujours de bonnes réponses. Néanmoins, cette fois, toutefois, cependant, nonobstant (y'est dur à ben ploguer, lui...), je suis certaine que celle qui me galope dans le cerveau, vous pouvez m'aider à y répondre un peu. Voilà, je nous la pose :

Comment ça on a un bord de lit?

Je sais. Je sais, je fais naître en toi, lecteur à la curiosité insatiable, un questionnement philosophique intense dont il est impossible de freiner le rythme. Je sais. Désolée de te placer dans un tel raz-de-marée de points d'interrogation insolvables : nait-on avec ledit bord de lit? Un genre de bord de lit inné? Un côté de corps où tu te sens mieux, un flanc préféré, qui te pousse à choisir un endroit stratégique à l'heure du coucher? Un bord de lit inné, un peu comme être droitier ou gaucher? Et ce bord de lit, est-il permanent? Te suit-il toute ta vie? Pis si tu tombes sur un gars qui a le même bord de lit que toi, ton couple avec lui est-il nécessairement voué à l'échec? Peut-être. À moins que tu te prives à jamais de ton bord de lit tout en tentant de t'adapter, comme un gaucher peut devenir, à coups de règles sur les mains, droitier.

Me semble qu'avant, j'avais pas vraiment de bord de lit. Donc, néanmoins (lui aussi il fait toujours bizarre, toujours l'air imbu de lui-même, un peu trop haut dans le niveau de langage), le bord du lit ne serait pas inné. Du moins, pas pour moi. Y a-t-il des gens pour qui le bord du lit est inné et d'autres pour qui il est acquis? Assurément. J'en ai la conviction. Et, qui plus est, qu'elle ait un bord du lit très tôt ou non, dans sa vie, en dit long sur une personne, je pense. On devrait même poser cette question dans les entrevues d'embauche : "Avez-vous un côté de lit. Si oui, depuis quand?" Là, après, tu sais qui est la personne devant toi. Et mieux encore, tu sais que la personne ne te mentiras pas : il n'y a ni bonne ni mauvaise réponse, aucune raison d'adoucir la réalité. Tu ne peux que dire LA vérité et tout dévoiler, du même coup, sur ta personnalité.

Alors, premier constat : je n'ai pas toujours eu de bord de lit. Le mien n'est donc pas inné. Mais alors? Quand l'ai-je acquis? Ça vient ti en combo avec la vieillesse, un bord de lit, et on en hérite tous d'un, un jour ou l'autre, veux, veux pas? Ou bedon ça vient avec l'évolution du couple? Avec la sédentarisation? Il nous assaille, chaussé de pantoufles, arborant ses culottes de jogging, et l'évidence saute aux yeux, un soir, quand, même si ton chum n'est pas couché, tu te recroquevilles sur ton bord de lit en pensant à l'époque, pas si tant lointaine, où tu te couchais en étoile quand ta grosse journée était finie.

Il est donc préliminairement nécessaire d'être un couple pour que la vie t'attribue un bord de lit. Ben, je parle pour moi.

Pas juste un couple. Un couple sédentaire.

Ark. Je suis un couple sédentaire?! Me semble qu'il n'y a pas si longtemps, j'aurais tout fait pour ne pas avoir de bord de lit. Pour ne pas m'enliser dans un bord de matelas qui prend, au fil des années, ma forme et mon odeur. Je sais ben, j'peux tourner le matelas, ça va faire changement un peu. Mais me semble que je rêvais d'être différente, pas de faire comme tout le monde pis de me creuser un moule qui finira bien, un jour ou l'autre, par m'étouffer parce qu'il est trop tight! Horreur! Je voyage sur un chemin déjà défriché! J'ouvre des portes déjà débarrées! J'avance, avec le troupeau, sur une route déjà piétinée! Je navigue sur des eaux dans lesquelles on a déjà pissé!

Pis? Hein, pis?

Il est confortable, mon côté de lit.

Mais juste pour me prouver que je suis encore capable de vivre dangereusement, Bebé, à soir, j'couche à gauche. J'garde mon oreiller par'zemple.

lundi 7 octobre 2013

Convaincre

Convaincre. Voilà quel verbe résumerait ma vie présentement. Pourtant, je ne suis pas avocate, parlez-en à mon compte de banque. Je ne suis pas négociatrice pour la police non plus. Je ne vends ni balayeuses, ni maquillage, ni char, ni voyages, ni corps, ni âme. Néanmoins, je convaincs.

Chaque matin, c'est nécessaire, je convaincs d'abord mon corps de se lever et mes yeux de s'ouvrir. J'ai bien essayé de les laisser fermés, mais je suis moins efficace dans les escaliers. Je convaincs ensuite, à coups de collants sur un pitoyable dessin de vêtements collé maladroitement au mur, mon fils de s'habiller. Je le convaincs aussi que bien manger est important, parce que si on ne mange pas, on meurt, c'est prouvé. Je convaincs ma fille d'attacher ses souliers plutôt que de regarder ses émissions beaucoup plus divertissantes que ses lacets. Je me convaincs qu'un seul café est suffisant. Je convaincs mes enfants que leurs dents vont carier, noircir, puer, pourrir, trouer, casser et tomber s'ils ne les brossent pas. Et je me convaincs que je n'exagère pas.

Arrivée au travail, je me convaincs, le temps d'une conversation sur quelque insignifiance, que je ne suis pas dans le jus. Et je me crois. Et en classe, on pourrait croire que j'enseigne. Quand j'inscris, au tableau, ces phrases. Quand j'explique la structure d'un groupe de mots. Quand je lis un texte. Mais détrompez-vous. Je convaincs. Encore. Il faut d'abord convaincre mes élèves, qui ont bien d'autres chats à fouetter, de m'écouter. Ensuite, les convaincre de travailler, c'est une autre paire de manches. Certains sont déjà convaincus, mon travail est alors plus facile. D'autres, par contre, résistent plus, je dois alors convaincre un peu plus fort. Alors, sans cesse, je convaincs. Je convaincs mes élèves de l'importance de la précision des mots quand on tente de faire passer un message. Je les convaincs de leur capacité, insoupçonnée parfois, à comprendre la langue et sa structure. Je les convaincs, avec moult lectures et intonations, du plaisir qu'elle peut nous apporter. Je les convaincs, à grands coups de métaphores avec mon pitoyable apprentissage, si long et pénible, de la conduite automobile manuelle, que les efforts porteront fruit. Que mieux communiquer les rendra plus heureux. Que les mots permettent de séduire, de faire rire, de toucher, de frapper, de se défendre, de se vendre, d'argumenter, de convaincre. Je les convaincs aussi de prendre leur temps. Dans ce monde qui exige l'efficacité, la rapidité, je dois les convaincre de passer plusieurs minutes, voire parfois quelques heures, à se poser des questions sur le sujet d'un verbe, sur un complément, une virgule, un adjectif. Je dois les convaincre qu'une simple lettre peut faire la différence. Que chacun des mots compte. Je les convaincs de se questionner. De s'appliquer. De persévérer. De se concentrer. De réviser. De noter. De se forcer. De ne pas parler avec son voisin. Encore moins avec l'élève à l'autre bout de la classe. De ne pas égrainer son efface pour ensuite en faire pleuvoir les morceaux. De cesser de faire de l'origami. D'utiliser d'autres adverbes que "crissement" et d'autres verbes que "colisser", même si je les aime aussi, parfois, ces mots. De cesser de hurler qu'ils sont poches, parce que c'est l'opposé de ce dont je tente de les convaincre. Je convaincs du mieux que je peux. Avec des mots que j'espère convaincants, avec des yeux convaincus. Je les convaincs de ce dont je suis convaincue.

Mais parfois, je suis fatiguée de convaincre. Parce que ça en prend, de la conviction, pour convaincre. Et que cette conviction, elle ne se retrouve pas en vrac chez Walmarde. Et qu'il me semble que ma vie serait plus simple s'il n'y avait pas autant de bâtons dans mes roues. Et je me demande ce qui les a tant convaincus du contraire pour que j'aie tant de conviction à dépenser pour les convaincre. Et avant de retourner convaincre mes enfants que s'ils ne se lavent pas, ils sentiront le poisson, perdront tous leurs amis, seront malheureux et gras, devront inévitablement s'isoler, dépendront de l'argent du gouvernement pour survivre et finiront bouffés par des coquerelles, je me convaincs qu'il me reste assez de conviction pour en donner un peu, au moins, à ceux qui en manquent... Et les bâtons dans mes roues se transforment en défis. Et je me convaincs que je suis capable de les relever. Et je me convaincs d'aller me coucher. Et je convaincs mon corps de se lever... Et...

lundi 23 septembre 2013

Le temps va


Il y a quatre ans, ma fille, ma vie se remplissait.

Il y a quatre ans, mon enfant, mon ventre se vidait.

Il y a quatre ans, au gré des premières tempêtes d’un hiver déchaîné, mon cœur faisait son tout premier tête-à-tête avec l’inquiétude, la vraie. Celle qui fait peur par son intensité. Celle qui nous suit désormais comme une sœur siamoise parasite, celle que j’avais espérée plus subtile, silencieuse, discrète. Celle qui nous permettrait de tout casser, de tout bousculer, de tout déplacer, de tout réparer pour le bonheur d’un autre petit cœur… qui bat, qui vit, qui ressent, qui peine, qui joie, qui rit, qui pleure … qui aime. Un autre petit cœur qui, il y a quatre ans, battait tout à côté du mien. ÉTAIT, en quelque sorte, le mien. Puisqu’il était en moi, n’était-il pas, justement, un peu moi? Et toi, qui as été un peu moi, tu deviens, à quatre ans, de plus en plus toi, de moins en moins moi. Tu t’entoitises, tu te démoimises, tu te démagnétises, tu te désinfantilises, tu crises d’INdépendance pendant que tu vis LA dépendance. Tu sais déjà écrire ton nom et demain vient, c’est jamais long.
Il y a six ans, ma fille, ma vie se remplissait.
Il y a six ans, mon enfant, mon ventre se vidait.
Il y a six ans, je ne savais pas qu’un jour, j’aimerais autant. Je ne pensais qu’aux nuits blanches, aux couches lavables, à l’accouchement, à l’allaitement.  Et maintenant. Maintenant. Je sais tellement, maintenant, que tout va vite, que rien n’attend. Que les jours s’envolent et que les souvenirs restent. Et j’aimerais tant arrêter le temps. Et j’aimerais tant que tu restes une enfant. À cause de la lumière. Celle qui brille dans tes yeux quand tu ris. Celle qui bouge avec toi quand tu danses. Celle qui m’éblouit trop tôt, le matin, dans mon lit, quand tu t’y glisses avec tes petits pieds glacés. À cause de la chanson qui dit qu’un jour, tu grandiras et puis que tu t’en iras. À cause de la curiosité, qui est si difficile à garder. À cause de tes joues. À cause des histoires, collées ensemble sur le divan. À cause de tes sourires pleins de dents. Et pourtant. Le temps va, tout s’en va. Et toi, avec lui, tu t’embellis. Et peu à peu, je comprends. Tranquillement. Que la lumière changera, mais qu’elle restera. Que tu grandiras, comme mes sentiments. Qu’un jour je dirai encore et tu le diras peut-être avec moi : "Je ne savais pas qu’un jour, j’aimerais autant. "

vendredi 20 septembre 2013

Une fille, ça pue pas

 Ma fille. Tu es entrée à la maternelle. L'université approche. Voici venu le temps de te confier certaines grandes vérités féminines qu'il vaut mieux que tu saches plus tôt que trop tard.


1. Des pieds de fille, c'est pas supposé puer. Mets du Bounce ou du push-push dans tes souliers. La poudre pour bébé, ça laisse des traces à terre. Ça va paraître que tu tentes de camoufler tes odeurs.

2. Plusieurs générations l'ont tenté avant toi : tu ne peux pas pisser d'boute. J'te jure.

3. Une fille est physiquement capable de changer un pneu, de cogner du marteau, de visser, de percer et de scier. C'est même sexy, une fille qui sait changer un pneu, cogner du marteau, visser, percer et scier. (Sauf si elle ne porte qu'une brassière et des bobettes beiges qui montent en haut du nombril.)

4. Si, lors d'une soirée avec ton nouveau chum et ses amis, une fille semble éviter ton regard, parle trop fort et jamais à toi, rit trop haut et même des blagues les plus plates de ton chum, a l'air de se penser dans une annonce de shampooing tellement elle secoue ses cheveux et a une voix trop aigüe, elle n'est pas juste énervante, elle est aussi probablement amoureuse de ton chum et elle tente de faire son territoire. Va le frencher dans sa face.

5. Ta passion pour les licornes, ça fait un peu peur. Pis celle pour les dauphins aussi.

6. Un mariage sur deux se termine par un divorce. Faqueeeeeuh... "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants", c'est juste pour te permettre de mieux comprendre c'est quoi une situation finale dans le schéma narratif au secondaire.

7. Inévitablement, un jour, une "amie" reprendra tes paroles, y ajoutera un ton, t'inventera des intentions, façonnera la réalité dans le simple but de crinquer une autre "amie" contre toi et, par le fait même, de se créer une alliée. C'est une bitche. Si elle continue de te parler ensuite comme si elle n'avait jamais rien fait de croche, ça peut te surprendre. Tu peux alors la ranger dans la catégorie "hypocrite". Tiens-toi loin.

8. Un garçon peut devenir ton ami. Surtout s'il aime les garçons lui aussi. Sinon, sache qu'il est fort probable que ton ami garçon, même s'il dit n'être que ton ami, ne soit pas totalement indifférent à tes charmes.

9. Quand une fille te dit qu'elle te pardonne, en fait, ce qu'elle veut dire, c'est qu'elle remet à plus tard le moment où elle va pouvoir se servir de ta bévue.

10. Si tu as une relation sexuelle complète sans condom avec un garçon, la loi de la gravité veut que tout ce qui est entré doive ensuite ressortir.

11. La première fois que tu rencontreras ta belle-mère, ne bois pas cinq vodka-jus d'orange avant pour te calmer, ne danse pas sur sa table de salon, ne détache pas ta brassière pour te mettre à l'aise, n'évoque pas les performances sexuelles de son fils, évite de dire à ton Martini que tu l'aimes parce qu'il a toujours été là pour toi et abstiens-toi de lui confier que la sauce à spagh de ta mère est bien meilleure que la sienne. Souviens-toi, il se peut que tu la côtoies longtemps.

12. Une fille peut roter. C'est cute. Surtout si elle rit après.

13. La jalousie, ça tue. Si tu ne peux pas faire confiance à ton chum, laisse-le. Au pire, s'il te trompe, tu auras mal, mais tu t'en sortiras.

14. Tu es belle. Même sans maquillage. Surtout sans maquillage.

15. Hurler dans une discussion avec des inconnus que tu aimerais être un homme pour expérimenter une autre perception de la fellation, c'est un peu déplacé.

16. Sur un vibrateur, les lumières, ça sert à rien.

17. Aimer, c'est parfois douloureux, mais jamais autant qu'haïr. Et le proverbe prétend quelque chose du genre : "Aime-toi et le ciel t'aimera." Il dit vrai. T'aimer t'empêchera de t'haïr.
















lundi 16 septembre 2013

Phallusophie

Le phallus, symbole de virilité, de fertilité, de force, c'est bien connu, prend une importance capitale dans la vie de chaque homme. (Et de quelques femmes, avouons-le.) Je suis une fille, mais détrompez-vous, je suis capable de comprendre la quasi obsession de l'homme pour son pénis : un de mes plaisirs, lorsque j'allaitais mes enfants, était de faire des concours de qui pisse du lait le plus loin. Si j'avais un pénis, chose que j'ai secrètement souvent souhaitée - comme on souhaite un nouveau livre ou un nouvel ordinateur, en se disant que ce serait respectivement soit excessivement divertissant, soit très pratique - j'expérimenterais le jet. Surtout dans la neige. J'ai toujours rêvé de pisser mon nom.

Bon. J'avoue. Le sujet est spécial. Surtout pour un lundi soir.

C'est que j'ai découvert, lors d'une discussion philosophique profonde avec quelques collègues, vendredi passé, qu'il y a quelque chose de pire que de ne pas avoir de pénis : avoir un garçon à qui il faut apprendre à gérer son pénis! Non seulement je ne connaîtrai jamais le plaisir de me soulager dans un urinoir, mais en plus, je devrai enseigner à mon fils à le faire avec tous les désagréments que cet apprentissage comprend et ce, sans jamais en tirer égoïstement profit.

Je t'explique, lecteur médusé.

Les premiers pipis, dans le pot ou la toilette, se soldèrent inévitablement par une flaque sur la céramique. "C'est pas supposé être simple, faire pipi, quand on est un gars?!" pensai-je. Ensuite, vint le premier pipi debout, lors d'une visite chez le docteur, qui fut l'occasion pour mon fils de découvrir la toilette publique dont la lunette ne forme pas un rond complet. Mon fils s'étant radicalement opposé à l'idée de poser ses fesses dans un trou de lunette de toilette, j'eus alors la brillante idée de l'installer debout sur ladite lunette - il est d'ailleurs encore trop petit, à trois ans et un tiers, pour que ses hanches atteignent le haut du bol - dans le but très avoué de lui faire découvrir les joies d'être un garçon. N'ayant jamais été un garçon moi-même et étant plutôt débutante dans ce genre d'art masculin, je le convainquis alors, dans toute ma naïveté, de pisser. Sans préambule, sans plus de préliminaires. Le pénis libre comme un ballon à l'hélium qu'on échappe dans les grands vents de novembre. Mon fils, le sourire creusant ses fossettes, une lueur espiègle dans l'œil, mon fils, disais-je, tapissa alors joyeusement d'urine les murs, la toilette - cuve, réservoir, lunette, bol - jusqu'au lavabo se situant à pratiquement un mètre de lui. "C'est pas supposé être simple, faire pipi, quand on est un gars?!" rugis-je. Enfin, vint le moment de la pisse extérieure. Riche de mon expérience précédente, j'entraînai mon fils à tenir son pénis pour viser l'endroit arrosable. Mon garçon, enchanté d'expérimenter une technique nouvelle, fit alors jaillir ce qui ressembla plus au jet d'une douche qu'à celui, droit et précis, que je m'étais imaginé. Ses pantalons ne s'en portaient pas mieux que s'il avait été une fille. "C'est pas supposé être simple, faire pipi, quand on est un gars?!" fulminai-je.

Par ailleurs, que penser de cette obsession masculine pour cet encombrant organe de reproduction? Dès que le bébé mâle est en âge d'attraper un jouet, le pénis devient son principal attrait. (J'ai d'ailleurs toujours eu l'impression qu'il fallait traiter ce membre avec délicatesse. Je ne me suis jamais autant fourvoyée!) L'enfant développe alors une relation indéfinissable avec son engin, empreinte de curiosité obsessionnelle et de fierté, qu'il faut savoir calmer dans le but évident d'éviter toute situation gênante en public. Je deviens alors le "surmoi" freudien de mon fils et lui répète, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, de lâcher son ESTIE de pénis.

Et pis moi? Moi? J'en récolte quoi, moi, qui dois continuer de me salir les fesses sur les lunettes de toilettes?

Rien.

Sauf peut-être le fait, comme le signifiait une collègue, de n'avoir qu'un seul pénis à surveiller puisque c'est un garçon que j'ai...  Mmmouin.

vendredi 13 septembre 2013

Québec l'angoissée

Québec, ma grande originale, ma douce excentrique, ma belle extravagante. Tu veux jamais rien faire comme tout le monde. Tu parles français, tu étudies au collégial, tu mets ton linge su'a corde, tu invectives en joual, tu manges d'la poutine, tu injuries à coups d'hosties, tu portes des mitaines, mais t'as câlissement frette quand même... Rien qu'à voir, Québec, on voit ben : tu sors du lot, on te scrute, tu te démarques, tu te distingues.

Québec, ma belliqueuse, ma guerrière, ma batailleuse, ma fière. La marée n'a pas réussi à t'emporter. Tes pieds demeurent bien enracinés et toi, solide, droite, gonflée de fierté. Ton histoire en guise de bouclier, ta langue en guise d'épée. Québec, je t'ai toujours admirée, adulée, encensée. J'ai défendu ta singularité, ton unicité. Et quand tu as voulu partir, j'ai voulu quitter avec toi. Tu voulais voler de tes propres ailes, j'ai voulu être libre avec toi. Tu étais fougueuse, j'étais amoureuse.

Québec, ma vieille, tu as grandi. Tes rêves d'indépendance se sont un peu taris. On t'a malmenée, déchirée, meurtrie. On t'a blessée, tu as du mal à cicatriser. Tu as perdu de ta ferveur, de ta vigueur. Tu es fatiguée, Québec. Tu t'es perdue un peu, dans la foulée. Et tu ne sais plus qui tu es. Tes convictions se sont effondrées. Tu crises d'adolescence, Québec ; tu cherches ton identité.

Québec, ma bouleversée. Ta peur est légitime, ta confiance est ébranlée. Et tu es bourrée de bonne volonté. Mais ces temps-ci, Québec, tu es tiraillée. Tu oscilles, tu tergiverses, tu chancèles, tu titubes... As-tu trop bu, Québec? Et moi, je ne sais plus toujours sur quel pied danser. Peut-être s'est-on trop éloignées? C'est pourtant toi qui m'as enseigné à accepter la diversité, à grandir de la différence, à l'accueillir, à l'adopter. Et maintenant, te voilà angoissée. Et il me semble que tes armes sont disproportionnées. Ne sont-ce pas des canons, que tu fais péter, alors qu'il n'y a qu'une mouche à tuer?

Québec, mon inquiète, mon agitée, ma tourmentée... calme-toé, va boire un thé.

samedi 7 septembre 2013

Guide d'intégration du nouveau collègue

Dans les coulisses de la rentrée scolaire règne un grabuge dissipé de profs qui n'ont pas encore leur horaire, qui se retrouvent avec trois locaux sur deux étages, qui n'ont pas leurs listes d'élèves, dont le local n'est pas prêt, qui cherchent les dictionnaires qui sont disparus, qui doivent placer dans des petites cases 580 minutes en dehors des heures de cours, qui grapillent quelques renseignements sur leurs nouveaux élèves, qui planifient, organisent, chialent, rient, courent, stressent, placottent, paniquent... Bref, après deux mois de calme, nos corridors bourdonnent d'abeilles ayant butiné un vieux Red Bull au soleil.

Dans les coulisses de la rentrée, il y a aussi le précaire, membre d'une communauté considérablement abondante, qui aboutit, lui, la plupart du temps, dans une nouvelle ruche. Le précaire a su, quelques jours à peine avant les premières pédagos, où il travaillerait pour l'année. Le précaire doit bien souvent repartir de zéro, avec une nouvelle planif dans une école où il connait peu de gens et dans laquelle il a pratiquement tout à apprendre : le fonctionnement du photocopieur, les règlements, la prise d'absences et de retards, les sorties de classe, les appels aux parents... Certains s'en sortent mieux que d'autres. Cependant, j'ai remarqué qu'il y avait quelques règles à ne pas enfreindre pour favoriser son adaptation. Cette liste n'est pas exhaustive, évidemment. Je ne suis permanente que depuis peu... Mais j'ai le sens de l'observation et surtout, beaucoup de mémoire, vous verrez.

1- Ne cachez pas les clés du précaire, ce n'est pas un bon tour. Le précaire est habituellement pressé et totalement perdu.

2- Attendez au moins deux semaines avant de mettre des confettis dans sa boite de mouchoirs et dans ses tiroirs. Il ne vous connait pas encore. Il pourrait vous juger.

3- Ne demandez pas au précaire s'il sait quel examen il utilisera en juin prochain, quelle pondération il accordera à son examen de Noël ni même s'il a une activité spéciale pour l'Halloween. Parlez-lui plutôt de son premier cours, il sera plus loquace.

4- Dans la salle des profs, ne criez pas, après qu'il vous l'ait confié, que le précaire porte des suppositoires parce qu'il perd la voix la première semaine. Ce n'est pas drôle.

5- Attendez au moins trois semaines avant de parler au précaire de votre passion pour les licornes.

6- Ne saoulez pas le précaire lors du premier "sôcial" de l'école. Il a une image à bâtir.

7- N'entrez pas dans le premier cours du précaire en chantant avec des lunettes Imax sur le nez. Il a une crédibilité à bâtir.

8- Ne monologuez pas. Si le précaire ne vous regarde pas, écrit, lit ou court pendant que vous parlez, c'est qu'il ne vous trouve pas intéressant et qu'il a du travail à faire. Il a des cours à bâtir.

9- Quand le précaire vous demande où est l'ascenseur, ne l'envoyez pas au secrétariat. Ne mangez pas son lunch. Ne cachez pas ses craies. N'effacez pas sa réservation de projecteur. Ne volez pas son cahier de planif ni son agenda. Ce n'est pas drôle.

10- Ne volez pas le IPhone du précaire. C'est sa vie. Il est jeune, lui. Il en a encore une, vie.

11- Ne parlez pas au précaire avec une petite voix, un ton mielleux, les sourcils levés et un sourire exagéré. Malgré ce que vous en pensez, il n'est pas un enfant et ne croit plus aux pouliches.

12- Ne faites pas une photocopie de vos fesses devant le précaire.

13- Attendez quelques mois avant de lui avouer votre histoire d'amour avec votre rétroprojecteur. Le précaire a généralement l'esprit ouvert, mais on ne sait jamais.

14- Ne dansez pas sur son bureau pendant qu'il corrige. Portez un chandail et des souliers en tout temps. Ne criez pas son nom dans le télévox. Ne crevez pas ses pneus.

15- Ne subtilisez pas une copie d'élèves lors de son premier examen. Le précaire paniquerait.

16- Traitez le précaire comme une personne à part entière. Après tout, il le sera lui aussi, un jour.

Riez, amis précaires. Je vous aime, moi aussi.

jeudi 5 septembre 2013

We don't need no education...

Je vais les aimer. Encore cette année. Pas comme j'aime mes enfants, mais plutôt comme j'aimerais que mes enfants soient aimés. Je vais les aimer malgré le dur, malgré l'armure. Parce qu'en eux, derrière le mur, il y a du beau, toujours. Je vais les aimer même s'ils n'en ont pas envie. Parce qu'ils croient parfois que c'est en détestant qu'ils se feront remarquer. Parce qu'ils croient que c'est en ayant l'air détaché qu'ils se feront regarder. Parce qu'il faut voir plus loin que l'image qu'ils veulent projeter. Je vais les aimer.

Malgré eux, malgré les mots qui vont dépasser la pensée, malgré la frustration qui va parfois monter, malgré les sorties de classe, malgré les verbes supplémentaires à conjuguer, malgré le placotage mal placé, malgré les yeux au ciel, le ton levé, la face de Carême, les moues écoeurées. Malgré tout. Je vais me forcer.

Ils vont quand même se décourager, soupirer, peut-être même doubler. Ils vont continuer, je sais. Et je serai encore exaspérée, essoufflée, épuisée. J'aurai même parfois envie de les détester. Mais je vais continuer. Et je vais les aimer. Comme on aime un enfant malgré tout ce qu'il nous prend. Parce qu'eux aussi sont encore des enfants, pas encore si grands. Ils s'arment comme ils peuvent, ils se carapacérisent, ils se durcifient, un peu trop peut-être. Mais c'est le mou qui est important. Et je sais, c'est pratiquement perdu d'avance, les classes de mots et les participes passés, ce sera toujours à recommencer, chaque année. Mais à défaut d'écrire "es" à la fin des pommes qu'ils auront mangées, quelqu'un de plus les aura aimés. Malgré le dur. Malgré l'armure. Malgré le mur.

mercredi 4 septembre 2013

Un gars, c't'un gars.

Je suis une fille. J'aurais toujours voulu être un garçon, surtout pour pisser joyeusement debout dans les buissons des plaines le soir de la Saint-Jean. Mais c'est plutôt difficile puisque je suis une fille. Je ne porte pas de talons hauts, j'ai mis du Cutex une seule fois, il y a deux semaines, et je le laisse s'écailler, insouciante, en le grattant puérilement un peu tous les jours et j'arbore, depuis quelques années à peine, la boucle d'oreille. Donc je ne suis pas une pure et dure. Mais tout de même, je suis une fille.

Jeune, parce que je le suis de moins en moins, je jouais à des jeux de filles. J'exécrais d'ailleurs tout jeu de ballon parce que je finissais inévitablement par en manger un dans l'œil. D'ailleurs, j'ai toujours pensé que cet œil, à force d'ingérer trop de ballons, avait perdu toute faculté d'évaluer correctement la distance ballon-moi. Ou encore il n'a jamais eu cette faculté, c'est une autre possibilité. Et je suis mal faite, il y a mes pieds, aussi, qui sont trop petits et qui ne me tiennent en équilibre ni sur des skis ni sur des patins. Je n'ai non plus jamais eu aucun intérêt pour quelque arme que ce soit : épée, fusil, arc, flèche, sling-shot, couteau, fourchette... ah! sauf pour les guns à eau, ça c'est vraiment drôle dans les réunions de profs à l'école.

Mes parents ont essayé, un jour, de me convertir aux Tonka et mon frère aux Barbies. Bon... Faut dire qu'ils lui avaient acheté une Barbie esquimaude, ça aidait pas. Pas que je n'aime pas les Esquimaux, je n'en connais aucun. C'est juste qu'elle faisait bizarre dans la décapotable de Ken avec son Anorak poilu. Tsé. Pis le Tonka, mon frère l'aimait ben. Faque on a consensuellement échangé nos cadeaux mutuels. Pour une fois qu'il y avait consensus entre lui et moi...

Bref. Je suis une fille.

Et mon gars, lui, est un gars.

Et je ne comprends pas toujours ses jeux. Le hockey, je comprends. Les blocs, les outils, je vois l'intérêt. Mais par-dessus tout, mon fils, ce qu'il aime, ce sont les véhicules. Avec des roues, un moteur : mon gars, c'est un gars d'char. Et ça, je comprends moins. L'autre fois, il a rencontré le chum de mon amie qui est mécanicien. Osmose. Jubilation. Et exagérément de lumière dans ses yeux. L'hiver, tous les jours de sa petite vie d'enfant qui ne savait même pas parler, mon gars, il se garochait dans la fenêtre pour voir la charrue passer et vivait un deuil démesuré quand elle quittait notre rue. Mon gars, il marchait à peine qu'il reconnaissait déjà une douzaine de marques de voitures. Que de données inutiles dans sa petite tête! Mon gars, il utilise ses camions pour ranger son bordel. Il se prend pour une pelle mécanique quand il mange. Il se penche comme sur une moto quand il roule sur son vélo. Il fait des sons de moteur quand il court. Il couche avec vingt-huit petites autos stationnées dans son lit. Mon gars, c'est un gars d'char.

Mais pire encore, vous allez le constater, ses champs d'intérêts s'éloignent de plus en plus considérablement des miens : mon gars, son obsession, ce sont les CAMIONS DE POUBELLES. Il porte un amour incompréhensible à tout ce qui est en lien, de près ou de loin, avec les camions de VIDANGES. Là, il me perd. Déjà que les véhicules en général n'ont pour moi qu'une seule utilité, me déplacer, je peinais à comprendre sa relation avec les véhicules lourds. Mais là, expliquez-moi kekun!! Pourquoi les ordures?! Le jeudi, il me répète ad nauseam que c'est la journée des poubelles. Et le mercredi, c'est à la garderie que c'est la journée des poubelles. Et il est bien intrigué par les voisins qui sortent leurs bacs de poubelles un soir à l'avance. Et il a ce jouet, dont la benne s'arrache trop souvent mais qu'il n'est pas capable de réparer seul, dont il ne se sépare jamais. Et plein de morceaux de carton qu'il déchire en guise d'ordures et qu'il ramasse inlassablement avec son camion. Et Youtube, sur lequel il veut férocement écouter des vidéos de camions de poubelles... (D'ailleurs, quelqu'un peut m'expliquer ce genre de vidéo, qu'on retrouve en quantité infinie, filmé par un adulte, mettant en scène un ADULTE jouant avec des jouets d'enfants? Est-ce qu'il y a réellement des parents qui ont tant de temps à perdre?! Video bizzzzz )

Bref, j'essaie. Fort. Mais sa passion sauvage pour les ordures me laisse de glace. Même que ça me fait sentir un peu coupable de m'y intéresser si peu. Et je me convaincs qu'il n'est qu'un petit garçon et qu'il ne vient toujours ben pas de m'apprendre, l'œil convaincu, qu'il veut devenir éboueur. Que c'est son rêve. Que mes REEE, il n'en a pas besoin finalement. Qu'il a envie, lui, de vivre dans les odeurs nauséabondes le reste de ses jours. Que c'est sa vie après tout et qu'il a bien le droit d'en faire ce qu'il veut. Et qu'il n'y a pas de sots métiers. Que je suis pleine de préjugés et que je ne l'ai jamais aimé tel qu'il est. Et je dramatise un peu. Pis après je relativise. Je me dis que dans le fond, s'il veut devenir éboueur, il a ben l'droit. Et je me sens un peu coupable de le juger, de tenter de détruire son rêve sous prétexte que sa passion n'est pas la mienne. Et qu'il n'y a pas de sots métiers. Parce que sur son mur, avant même qu'il naisse, j'avais peint une citation de St-Exupéry. Paroles qui valent plus à mes yeux qu'une incompréhension ou que nos différences fondamentales. Et je finis par convaincre mon monologue intérieur de fermer sa gueule parce que ces mots, je ne veux pas qu'ils ne restent que des mots : "Fais de ta vie un rêve et de tes rêves, une réalité."

La fille, elle va devoir comprendre que son gars, c't'un gars.

jeudi 29 août 2013

Les souliers de la rentrée

Elle était grande dans ses petits souliers. La tête haute, l'œil attentif, le pied gambadant, l'humeur frétillante. Je l'ai bien regardée, quand elle m'a précédée dans le corridor. Dans SON corridor. Quelque chose avait changé pendant la nuit. Elle était devenue immense dans ses minuscules souliers. Et ma fierté a grandi encore avec elle. Elle traversait un défi les épaules droites et le rire léger. Mes pires scénarios tout à coup s'évaporaient chassés par le mouvement de sa queue de cheval qui sautillait au même rythme qu'elle. Je l'ai observée prendre sa place, une toute petite encore. Elle avait la parole tranquille mais le pas sûr. Et quand je l'ai quittée, c'était le cœur souriant. Parce qu'elle avait autre chose à faire que de se pendre à mon cou. Parce qu'elle avait les yeux curieux. Parce qu'elle était occupée à s'envoler. Et je l'ai laissée se lancer, rassurée.

Dans mon corridor, plus tard, à travers la frénésie des premières rencontres racontées par des collègues parfois déjà découragés, d'autres fois pleins d'espoir, j'ai vu mes grands. Mes grands si petits dans leurs souliers qu'ils trainent parfois si lourdement. Mes grands pourtant pas si grands qui ne veulent plus être des enfants. Mes grands qui n'ont plus le pied gambadant. J'ai bien observé leurs yeux. Et j'ai cherché dedans. Il y en avait encore des pétillants que certains essayaient de camoufler sous leur désinvolture et leur corps bringuebalant. Et je me suis lancée, rassurée. Avec mes grands enfants, qu'encore une année, je laisserai se penser grands. Qu'encore une année, je verrai un peu grandir, même s'ils pensent avoir fini. Mes grands que je verrai tomber, s'enfarger, se relever, pleurer, s'exclamer, se taire, se décourager, recommencer, détester, vouloir, se vexer, rire, aimer, s'écoeurer, s'excuser... vivre. Parfois intensément. Mes grands enfants que j'aimerai malgré tout. ...Mes grands enfants pas si grands dans leurs tout petits souliers.

mercredi 28 août 2013

Poussez, mais poussez égal

Ma fille entre à la maternelle demain matin... Voilà ce que j'avais écrit quand on l'y avait inscrite.

Je vous vois, grandir, trop vite. Pousser. Haut. Devenir vieux. Vous épanouir. Découvrir. Choisir, tout seuls. J’ai peur. J’ai peur, parfois du temps qui file. Aujourd’hui, on t’inscrit à la maternelle, demain, tu entreras à l’université. Ce matin, il a fait pipi dans ses pantalons, demain soir, il s’achètera des condoms.


Vous découvrirez, en grandissant, qu’un gun n’est pas un télescope. Vous découvrirez que le méchant loup, ben, il existe vraiment. Que le prince charmant, lui, trop souvent, il est aux gars. Qu’une marraine n’a finalement rien d’une fée. Que le divan, ce n’est pas un bateau de pirates. Que les gentils ne gagnent pas toujours. Que les méchants ont souvent l’air d’avoir beaucoup d’amis. Que les gentils sont parfois méchants. Vous découvrirez. Tout seuls. Comme des grands. Ce que d’autres ont découvert. Et je devrai vous laisser découvrir, vous laisser vous éloigner de l’enfance et de ses bonheurs simples, de sa candeur, de sa légèreté, de ses dinosaures et de ses princesses, de ses lutins et de son Père-Noël. Je devrai vous laisser découvrir la réalité. Et si je n’avais qu’un vœu à faire, je souhaiterais que toujours, malgré ses défauts, vous aimiez cette réalité. Votre réalité. Votre vie. Même si parfois elle est dure et laide, toujours il faut l’aimer, la vie. Parfois elle nous écrase, nous gifle, nous griffe. Parfois, elle mord. Elle a ses humeurs, la vie. Et elle n’écoute personne. C’est pour ça qu’il faut l’aimer, parce que parfois elle est détestable. Mais quand elle voit que même si elle est chiante, on continue de l’aimer, elle devient alors plus douce. Et si on sourit quand elle voudrait qu’on pleure, on devient plus fort. Et si on l’aime, ben elle nous aime aussi.


Je sais, vous poussez. Haut. Et vite. Et bien. Mais, mes enfants, grandissez curieux. Et impressionnables. Vous ne saurez jamais tout, aussi bien le savoir maintenant. Et cette vie, c’est pour ça qu’elle est belle. Parce qu’elle a toujours une chose à nous apprendre. Elle est bonne pédagogue, faites-lui confiance. Et cherchez à savoir, à voir, à connaitre, à découvrir. Et extasiez-vous : elle est impressionnante, la vie.
Vous poussez, je le sais. Vous grandissez. Vous devenez vieux un peu. Mais vieillissez fous. Pas trop droite. À votre goût. Courez, criez, riez, jouez, sautillez. La vie, elle n’est pas sérieuse. Et si parfois elle est grise, c’est la folie qui lui redonnera ses couleurs. Parce que la folie, elle la fait toujours rire, la vie.
Je le sais, mes enfants, que vous devenez grands. Que demain, vous vivrez un peu plus sans moi. Mais gardez, dans vos yeux, un peu de brillance, un peu d’enfance. Parce que vous êtes tellement beaux comme ça.

lundi 26 août 2013

À tous les grands de ce monde

Chu petite. En général, je m'aime ben. Mais mauzus, j'ai un défaut de fabrication majeur : chu petite. Je devrais porter en permanence à mon cou, tel à un rétroviseur de char, une pancarte d'handicapé. Ah, je vous entends déjà vous insurger : "Arrête de te plaindre! Tu as tes deux bras, tes deux jambes, tes yeux, tes oreilles, ton nez, des genoux, des coudes, un nombril, un cerveau relativement en bon état, comment peux-tu ainsi te répandre dans ton malheur?" Bon, oui. Je sais tout ça. Je ne suis pas vraiment handicapée. Je veux juste dire que dans un monde de grands - ou du moins de plus grands que moi - je suis handicapée.

Vous doutez. Je le sais, je vous vois regarder votre écran avec un sourcil relevé, incrédule. Avez-vous déjà essayé d'être petit? Oui, ok. Non, je sais, ma question est mauvaise. Tout le monde a déjà été petit. Mais c'est pas pareil. Quand vous étiez petit, il y avait un grand, généralement appelé "adulte", qui s'occupait de vous. C'est pour ça que les adultes sont indispensables, parce qu'ils sont grands. Mais diantre! Que fait-on quand on est un petit adulte? (Parce que faut dire que je m'y suis fait, je suis une adulte. J'ai une carte de crédit et un lave-vaisselle. Pis en plus, j'ai un peu deux enfants. Mais je m'éloigne du sujet là.) Je réitère donc ma question : que fait-on quand on est un petit adulte?

Je vous réponds : on fait un peu pitié.

Le pire, évidemment, c'est quand on se retrouve dans une foule. N'importe laquelle. Il y en a des pires que d'autres, mais toute proximité avec une grande quantité d'adultes grands est un supplice. En fait, plus la proximité est grande, plus grand est notre désarroi. (N'est-ce pas qu'il est drôle, ce mot, désarroi, au singulier... Me semble que je lui mettrais un s. Pourtant, quand l'emploie-t-on au pluriel?! Je sais, je m'éloigne...) Vous tenterez l'expérience, vous, grand adulte suspicieux au sourcil relevé. Quand vous serez dans une foule, baissez-vous à ma hauteur. Cinq pieds deux et quart, que je mesure. (Ben non, je sais, je ne suis pas naine. Et il y a des plus petits que moi. Mais là, c'est vous qui vous éloignez du sujet. Je n'ai jamais dit que j'étais naine! J'ai juste dit que j'étais handicapée de la hauteur!) Alors faites le test. Et observez ce que vous voyez. Hein? Vous voyez quoi, hein? Hein??? RIEN!!!!! Rien PANTOUTE!!!! Non. J'hyperbolise. J'exagère encore, pour le show. On voit ketchose. On voit quoi? Regardez mieux là. On voit quoi? DES ÉPAULES ET DES DOS. C'est ça qu'on voit! Wow! C'est l'fun hein! Pis là, parce que vous êtes dans un spectacle du Festival d'Été de Québec sur les plaines d'Abraham (Ben oui! Vous ne le saviez pas hein?), tentez maintenant de voir la scène. Nooooon, vous n'êtes pas dans la pente proche de l'arbre. Vous avez, parce que vos amis étaient crinqués, tenté de vous faufiler jusqu'en avant, puisque là, l'ambiance est festive. Inévitablement, vous vous rendrez compte que des dos, ça n'a rien à se garocher dans un mur. Vous allez, indubitablement et inutilement, vous percher sur la pointe de vos pieds, tenterez malencontreusement de rassembler des canettes de bière et un tas de roches pour y grimper et voir au moins les écrans géants. Ou bedon juste les spots de la scène, please! Ou encore, quand vous irez faire la file pendant deux heures pour voir Roger Waters, vous prévoirez le coup, et vous trainerez, dans votre sac, des blocs de styrofoam sur lesquels vous vous jucherez. Malgré tout, devinez quoi. Vous ne verrez rien!!! Parce que, loi de Murphy oblige, il y aura assurément un gars de huit pieds dix avec des épaules de joueur de football qui viendra se placer devant vous.

Pire encore, (vous ne vous doutiez pas qu'il pouvait avoir pire, hein!), puisque vous êtes désormais petit, à votre désarroi (encore ce mot!) grandissant, vous deviendrez immanquablement un passage potentiel pour tous les grands crinqués qui tentent d'augmenter leur niveau de délire en se rapprochant de la scène. Du haut de leur hauteur, ils auront l'impression qu'à votre place, il n'y a personne, puisque du bas de votre basseur, votre tête sera cachée par les épaules des voisins. Tous les crinqués de cette foule se diront : "Tiens, tiens, un passage!" et se dirigeront vers vous. Il se créera donc un genre d'autoroute de crinqués devant vous. Je vous vois, devant votre écran : vous vous relevez tranquillement, vous en avez déjà assez d'être petit. Mais restez à ma hauteur, encore une petite (sic!) minute. Je sais que c'est pénible, pas loin du supplice, parce que s'en suit la parade des crinqués avec leurs sacs à dos que vous recevrez directement dans la face et les inévitables bousculades de crinqués qui ne vous avaient pas vu. En quelques mots : vous ne verrez rien du show, le son sera évidemment atténué par tous les grands de ce monde qui vous bouchent la vue et vous aurez l'impression de nager dans un blender.

Et que ferez-vous, vous qui savez ce que c'est que d'être petit, quand vous choisirez votre place dans une foule, hein? Vous, qui connaissez ce handicap, vous regarderez derrière vous pour vous assurer que le géant de huit pieds dix voit bien, que vous ne lui cachez pas la vue. Ironique, non?

Je pourrais continuer encore longtemps et me lamenter sur la hauteur standard des comptoirs de cuisine, sur l'impossibilité d'atteindre les armoires du haut sans grimper le mont Kilimanjaro, sur le défi presque insurmontable que représente l'achat de pantalons avec la coupe du genou à la bonne place, sur les torticolis à force de regarder les gens de bas ou sur l'incapacité de conduire certaines voitures sans utiliser un bottin téléphonique, mais je m'abstiendrai. Je pense que vous avez compris mon handicap. N'est-ce pas?

Grands de ce monde, vous qui savez maintenant ce que c'est que d'être handicapé, suivez désormais cet adage : "Il faut toujours se placer derrière plus petit que soi."

(Vous avez le droit de vous relever, là, vous avez l'air un peu con...)

samedi 24 août 2013

Première impression

Je pense. Tout le temps. Même la nuit. Et je n'ai rien de particulier, sauf être unique, comme tout le monde. Mais j'écris. Tout le temps. Même la nuit. Alors voilà, fallait ben je fasse comme tout le monde et que je finisse par bloguer un peu, moi aussi. Et je cherchais un nom original.  Et un titre original. Et un concept original. Mais comment être original dans un monde rempli d'originalité. J'ai choisi la simplicité. Ah, et j'ai l'air ben sérieuse de même, là, à première vue. Pourtant c'est pas toujours des affaires ben ben intelligentes qui me trottent dans la tête quand j'insomnise. Pis même quand j'insomnise pas... Donc je ne passerai pas ma vie à me présenter, voilà ce que j'ai écrit, hier, en revenant de ma première journée de travail après un long congé de deux mois, à mes amis profs.


Amis profs : parce qu’aujourd’hui, première pédago de la rentrée, j’ai dû boire un peu trop de café tout en devant rester assise trois heures à écouter ce qui aurait pu m’être dit en une et que donc, je n’ai pas pu courir dans les escaliers et faire des coups d’intercom pour dépenser mon énergie, j’ai décidé de vous écrire quelques conseils pratiques pour la rentrée question de me défouler un peu. V’savez, la rentrée, c’est un moment délicat. On n’a pas deux chances de donner une bonne première impression, dit-on. Pis quand t’as trente – ou trente-trois, ou trente-seize – paires d’yeux qui te jugent, faut pas que t’aies l’air imbécile au premier cours, sinon, tu vas devoir rattraper ta mauvaise impression pendant au moins six mois. Donc voilà, c’est basé sur mes nombreuses observations, du vécu et des recherches, tout est très scientifique.

1- Il est déconseillé de se faire une coiffure impossible à réaliser à nouveau. Faire un effort du cheveu est une excellente idée, mais si vous tentez d’avoir la même tête que votre meilleure chum à son mariage, c’est trop. À moins que votre amie soit vraiment une personne simple et qu’elle ait opté pour des cheveux lousses avec un tit voile su’l dessus… Mais encore là, va falloir laisser tomber l’idée dudit voile.

2- Portez une brassière, à moins d’être un homme.

3- Évitez la surdose de maquillage si vous avez l’habitude de ne mettre que du mascara. Vous allez vous tanner de vous maquiller, anyway, au bout d’une semaine, et vos élèves vont vous trouver de plus en plus laide… ou de plus en plus belle, selon vos capacités à vous maquiller.

4- Avant l’arrivée des élèves dans votre premier cours, vérifiez votre fly. Et montez-la au besoin. Par pitié.

5- Ne mettez pas tout de suite votre plus beau tit kit. Gardez-le pour le troisième ou quatrième jour, dans le but de les laisser penser que vous ne souhaitez pas TANT QUE ÇA faire bonne impression. Tsé. Quand même.

6- Ne parlez pas de votre obsession pour les licornes.

7- Il est inutile de gaver les élèves de barres de chocolat pour les amadouer, ça va vous coûter inutilement cher. Pis le prof du cours d’après finira par vous détester.

8- Ne tentez pas de faire passer une de vos flatulences sur le dos d’un élève. Vous ne les connaissez pas encore assez.

9- Évitez tout simplement les flatulences, ce serait bien.

10- Ne riez pas invariablement de vos blagues, elles sont probablement moins drôles que vous le pensez.

11- Gardez vos souliers dans vos pieds, ne vous couchez pas sur le bureau, ne mangez pas de la craie, ne grattez pas compulsivement votre coude ou votre poignet, ne portez pas de croix gammée, ne parlez pas à votre rétroprojecteur. Juste au cazousse que tout ça n’était pas déjà une évidence.

12- Assoyez Kevin dans la première rangée.

13- Si c’est votre dernière rentrée avant votre retraite et que votre speech-de-premier-cours est encore le même qu’à la première année, changez de speech.

14- Ne mangez pas d’ail pour déjeuner.

15- Si vous avez quand même mangé de l’ail pour déjeuner, ne passez pas l’heure et quart à souffler dans la face de Kevin. Il va monter la classe contre vous.

16- Ne faites pas de geste du genre parle-à-ma-main si Camille-Émily-avec-un-y  Castonguay-Durand vous fait de l’attitude quand vous lui désignez sa place très loin de celle de sa bbf. Vous ne la connaissez pas encore assez pour que les autres élèves le voient comme une blague et rient avec vous. Pis elle va probablement monter la classe contre vous avec Kevin, c’est son chum depuis six jours, ils sont déjà fiancés, tsé.

17- Ne prononcez pas les termes « yolo » ou « swaag », vous allez avoir l’air de vouloir avoir l’air cool. (Pis anyway, cool, c’est pu vraiment cool…)

18- N’alignez pas vos crayons sur votre bureau en ordre de couleurs du cercle chromatique après avoir obsessivement classé vos livres en ordre de grandeur, dessiné de petits ronds par terre pour indiquer l’emplacement exact de chaque pupitre, effacé les « En ca de feu, laissé brulez » sur le côté de chacun de vos dictionnaires et camouflé avec une couronne de fleurs la trace du crucifix laissée sur le mur depuis que la religion a quitté nos écoles en laissant des traces qu’on n’a pas eu encore le budget de faire disparaître. Ça paraîtrait trop que vous avez un TOC.

19- Ne vous faites pas remplacer, sauf si votre fille de cinq ans rentre à la maternelle et que vous devez l’accompagner. Ça c’est une bonne raison. Ah, et aussi si vous vomissez.  Quoique…