Juillet 2008.
La soirée est douce. Par la
fenêtre ouverte de la voiture, on sent que la chaleur de la journée baisse un
peu les bras pendant que toi, derrière, ce sont tes paupières que tu as enfin
laissé tomber. L’air sent l’été, les feuilles, le gazon coupé, l’humidité, l’asphalte
chaude et la peau brûlée. Le fleuve reflète les lumières des ponts, c’est beau.
Et de l’autre côté, de petites lumières brillent. Celles de Lévis. Celles plus
loin de l’île d’Orléans. Et j’ai hâte de te raconter que s’il y a de si petites
lumières, c’est qu’elles éclairent les maisons de minuscules lutins. Pas plus
hauts que toi. Qui dansent le soir. (Me semble que des lutins, c’est
inévitable, ça danse le soir, non?) J’ai
hâte que tes oreilles soient assez grandes pour entendre un peu de magie. Que
tes yeux brillent en imaginant les mots qui s’enchainent. J’ai hâte de t’inventer
des histoires et qu’elles dansent dans ta tête comme du feu et qu’elles
allument tes rêves et qu’elles vivent un peu. J’ai hâte que des traces d’oiseaux
dans la neige deviennent des pas d’ogres nains mangeurs de bas dans la sécheuse.
Que les coquillages aient servi de p’tit change à des sirènes. Que Georgette,
notre amie imaginaire, ait dévoré tous les biscuits au caramel pendant la nuit.
En roulant sur Champlain, je ne
sais pas encore qu’un jour, je jouerai à la fée des dents en couvrant ma tête d’une doudou en guise de
turban, question d’être un peu plus méconnaissable si tes yeux s’ouvrent, et
mes pieds de gros bas pour éviter qu’ils fassent du bruit sur le plancher flottant.
Je ne sais pas que je t’écrirai une lettre en son nom, un jour, parce qu’à ta cinquième
dent, j’aurai oublié de venir porter les sous pendant la nuit. Je ne sais pas
non plus que tu la garderas pendant des années sur la tablette à côté de ton
lit et qu’il sera hors de question que je la jette. Je ne sais pas que je ferai
comme des milliers d’autres parents et que j’imaginerai chaque soir, avant
Noël, des mises en scène diaboliques de freaking lutins. Je ne sais pas que ton
frère et toi m’entendrez, un soir, mettre du Saran Wrap dans la porte de votre
chambre et que je mentirai en affirmant que je pliais du linge. Devant votre
porte de chambre. Avec un fond de bruit de Saran Wrap, ben quoi, ça arrive
souvent, ça!... Je ne sais pas encore que tu te souviendras, des mois plus
tard, que ce sont eux qui t’avaient donné les cocons de papillons lune alors
que je serai en train de raconter à une amie que c’est un gentil collègue de
travail qui me les avaient fournis. Je ne sais pas qu’un jour, trop tôt, tu
remarqueras que le cadeau du lutin est emballé du même papier que ceux que j’ai
moi-même emballés et que tu me regarderas d’un air sceptique, sourcil droit
relevé, quand j’inventerai que je les ai entendus prendre mon papier pendant la
nuit.
Je ne sais pas, en ce soir d’été,
combien de fois je me demanderai à quel moment je devrai arrêter de te raconter.
De te mentir un peu. Je ne sais pas encore à quel point je préfèrerai cette
lumière dans tes yeux à la réalité. À la vérité. Je ne sais pas qu’un jour, tu
regarderas le Père-Noël en me chuchotant à l’oreille qu’il porte une fausse
barbe. Je ne sais pas encore à quel point ça me rendra triste quand je te
demanderai ce que ça veut dire et que tu répondras que c’est parce qu’il n’existe
pas. Tu ne sauras pas, ce soir-là, à quel point je serai tiraillée entre te
laisser vieillir et te garder encore un peu une enfant. Tu ne sauras pas à quel
point j’aurai envie de t’inventer autre chose pour justifier la fausse barbe et
le costume un peu délavé. Tu ne sauras pas non plus que ce moment représentera
pour moi le début de la fin de la magie.
Une autre parcelle d’enfance qui s’envole, qui tombe comme ces petites dents
que je garde pour toi dans une bouteille de pilules. Tu ne sauras pas ce que ça
me coûtera de confirmer ta certitude vacillante en souriant et en te demandant
de laisser ton frère y croire encore, lui.
Je ne sais pas encore. Parce qu’en
ce soir de juillet, j’ai juste hâte. Très
hâte.
De te voir vivre ton enfance.