jeudi 29 mai 2014

L'humain domestique

Ne t'en déplaise, lecteur choqué, on est des animaux. J'ose à peine prononcer du bout du clavier le mot "instinct". On m'en avait parlé avant que j'accouche d'une petite fille inconfortable qui avait la larme facile. J'y avais cru, à cet instinct. J'avais cru que je saurais quoi faire, que je n'aurais qu'à le suivre. Ben après 8 mois de réveils aux 45 minutes, je ne savais plus grand-chose. La seule chose que je savais, c'était que je ne savais rien pantoute. Faque l'instinct, tsé.


Non. Je n'ose pas parler d'instinct. Puisque dans l'instinct, il y a quelque chose d'irréfléchi. Non, nous, on réfléchit. Bon, toi, je ne sais pas, mais moi, oui. Trop. Même que des fois, je réfléchis à comment je réfléchis. Le pire, c'est de réfléchir à comment moins réfléchir. Parce que moins réfléchir beaucoup, c'est plus réfléchir moins, et ça, ce n'est pas facile pour moi. Et mes pensées courent plus vite que moi, c'est pas difficile, alors je dois les laisser aller de temps en temps, pour les épuiser.


Donc, je disais, lecteur déboussolé, que l'instinct est mort. Ou presque. Peut-être en reste-t-il un peu, mais je nous compare plutôt à un animal domestique : notre instinct a été humanifié. Nos sens se sont désaiguisés, on se protège la reproduction, on a épicerifié la chasse, poissonnerifié la pêche, on a maquillé la parade nuptiale, pis on l'a fait bronzer, pis on lui a rajouté des faux-cils, pis des beaux ongles, pis des muscles sur mesure. Pourtant, même si certains ne savent même plus allumer un feu (je ne parle pas ici d'essayer de faire un feu avec du bois gelé au mois d'avril pis de mettre le bac de recyclage au complet dedans en espérant qu'il pogne pour finir avec un show de boucane parce que la glace, ça brûle pas!), parfois, reste que notre cerveau reptilien a encore un certain pouvoir sur nous.


Prends la notion de territoire, lecteur-qui-se-demande-encore-si-j'ai-vraiment-fait-un-feu-avec-du-bois-gelé. Tu me diras qu'on ne le délimite plus en pissant tout autour. Je te répondrai, pour te réconforter, que moi, non, j'te jure. Mais que des affaires bizarres, il y en a plus qu'on pense, si je me fie au gars qui sort avec des poupées gonflables pis à la fille qui mange les cendres de son mari mort à Canal Vie. Mais je sais, en général, on ne pisse plus partout.


Cependant! La notion de territoire n'est pas perdue pour autant. On a d'abord un territoire physique, qu'on barre chaque matin, qu'on clôture, qu'on code d'accèssifise pis qu'on système d'alarmise. Mais au-delà de ce territoire physique, il y en a un autre, plus subtil, qu'on défend : notre territoire humain.


Bon, là, je t'entends partir en peur, lecteur insurgé, avec ton ton catastrophé : "Personne n'appartient à personne! On n'a pas de possession humaine, chacun est libre! La possessivité, c'est mal. Pis la jalousie aussi. Pis la drogue! Pis la guerre! Pis... " Wô! Du calme, lecteur emporté. Si personne ne nous appartient, faudrait penser enlever les déterminants possessifs devant les mots "chum", "blonde", "ami(e)", "amant". Il y a, du moins langagièrement parlant, une notion de possession dans chaque relation. Aussi insignifiante soit-elle : mon garagiste, mon vendeur d'assurances, mon boucher... mon poisson rouge.


Faque. Ma théorie, c'est qu'à partir du moment où il y a possession, qu'elle soit réelle ou qu'on ne la retrouve que dans le déterminant, il y a défense du territoire. Territoire qu'il faudra apprendre à défendre avec la bonne intensité.


C'est vrai! Si tu fréquentes un gars depuis deux semaines, il vaudrait mieux éviter de laisser volontairement tes bobettes dans le salon, tes bas sales à côté du lit pis ta brosse-à-dent à côté de l'évier. Ça pourrait lui faire un peu peur.


Si, quand tu chasses ton steak à l'épicerie, tu caresses subtilement le bras du chasseur musclé qui reluque le veau haché, il se peut qu'il te regarde de travers. Pis si sa blonde est à côté, en train de tendre un piège au canard, tu vas mieux savoir ce que je veux dire par notion de territoire. Vaut mieux lâcher les beaux muscles sur mesure que tu tâtonnais et maudire ton camp.


Dans l'univers masculin, la protection du territoire est peu subtile. J'imagine que le fait de jadis uriner à qui mieux mieux les a habitués à un comportement plutôt direct. Le gars qui fait son territoire le fait physiquement. Il se rapproche de sa possession, la ramasse par les épaules, lui sacre un french pis, au besoin, décoche un uppercut à celui qui tente de forcer la note. Ceci dit, certains ont l'uppercut facile, d'autres sont plus pacifiques.


Dans l'univers vénusien, toutefois, la game est plus compliquée. Il ne s'agit pas, chez la dame, de démontrer que l'on possède physiquement une personne, puisque cette possession est assez simple en soi. Non. Évidemment, on se tarabiscote ça, la protection de territoire. Chez la femme, pour créer le même effet que l'urine chez l'animal ou l'uppercut chez l'homme, il faut démontrer qu'il y a une INTIMITÉ entre soi et l'autre. Et crois-moi, cette intimité peut être de tout ordre : amicale, sexuelle ou amoureuse.


Tu ne vois pas de quoi je parle, lecteur incertain? Voilà quelques exemples dans lesquels tu sauras bien nous reconnaître. Les "insides" racontées l'une après l'autre devant celle qui voudrait mettre le pied (ou la main...) sur ledit territoire. Les trop nombreuses références à des anecdotes passées, à des moments communs, à des fous rires pu arrêtables. Les gorges invariablement et exagérément déployées. L'attention centrée sur la personne convoitée et l'ignorance intentionnelle et exagérée de celle qui tenterait inopinément de s'incruster. Observe la gente féminine, lecteur incertain. Tu verras dans les yeux un peu de dédain. Tu reconnaitras parfois la moue hypocrite d'une tigresse prête à passer à l'attaque.


Ce n'est pas que je nous hais, les filles. Mais des fois, je nous trouve sournoises. Et ça me désole. J'envie l'uppercut masculin. J'envie sa simplicité, son manque de subtilité et de raffinement. Pourtant, ces séances territoriales qu'on m'impose parfois m'amusent plus qu'elles ne me déplaisent. Je les épie avec le sourire. Et je tente de me convaincre que les filles ne sont pas compliquées. Et j'échoue. Et je tente de m'expliquer cette torture toute féminine. Et j'échoue.


Alors, je nous excuse, les gars. Je suis désolée. J'aimerais vous dire qu'on va changer, qu'on va se directifier. Mais j'en doute. Il va falloir t'y faire, lecteur découragé et lectrice compliquée, l'instinct est mort, mais nous ne sommes pas totalement domestiqués.

mardi 20 mai 2014

Fucking Four




Quatre ans. Le temps d'une respiration. Ou une éternité, selon les perceptions. 


Quatre ans, déjà (j'parle comme les vieilles, je sais...), qu'il est né, mon fils. Quatre ans, déjà, qu'une petite boule de vie m'a appris qu'il y a plus de place que je croyais dans la mienne. Parce que pour en prendre, de la place, il en prend. Pas question que sa place ne prenne pas assez de place.


Quatre ans, qu'il a, mon fils, donc. Il devait se calmer le Terrible Two avant d'entamer le Fucking Four, mais il a oublié. Ou bedon je ne l'ai pas remarqué.


Pourtant, avec lui était née une certitude : celle que je l'aimerais. Pour toujours. (Il est rare qu'on puisse employer ce mot-là, toujours. Il est trop gros, généralement. Trop puissant. Trop fort. Tellement qu'on en a peur!) Donc, pérorais-je, je savais que je l'aimerais, ce nouvel humain.


Maaaaaais (parce qu'il y en a un!), je ne connaissais pas les obstacles qui allaient se dresser devant cet amour de mère encore frais, galopant sous le soleil de mai à travers les pissenlits.


Je ne savais pas encore qu'un jour, il beurrerait son lit avec son caca avant de me rire dans la face quand j'irais le chicaner.


Je ne me doutais pas qu'avant même de mesurer un mètre, il cracherait par terre en me regardant dans les yeux, alors que je venais de le sommer de ramasser la bave visqueuse qu'il avait déjà projetée sur le sol quelques secondes plus tôt.


Je n'avais aucune idée qu'il passerait les longues heures de nos premiers voyages en Gaspésie, à Tadoussac et à Gougounequit à hurler dans la voiture, épuisant ainsi les minuscules réserves de patience que j'avais mises de côté pour la route et réduisant à néant l'effet des Advil sur ma migraine fulgurante.


Je ne pensais pas qu'un jour, il puisse patiner à la grandeur du salon avec deux DVD loués sous les pieds.


Je ne croyais pas un jour avoir à m'obstiner quotidiennement pour le design des bas, les coutures de bobettes, des étiquettes de pantalons, le sens des chandails, la force du push-push de la crème solaire, le goût de la pâte à dent, la couleur des verres, la longueur des fourchettes, le roulage des manches, la forme du découpage des toasts, la longueur de la boucle du soulier, la technique d'épandage de la doudou sur l'oreiller, le nombre de becs, la quantité de tites autos dans le lit, les moments d'aller pisser, de dormir, de manger, de pu manger, de boire, pu boire, jouer, pu jouer, courir, pu courir...


Il m'était impossible d'imaginer le nombre incalculable de "caca" et de "pénis" qui puissent être répétés en une seule journée malgré mes protestations.


Il a besoin de place, mon petit humain. Il a besoin d'une place, parfois n'importe quelle, même si elle n'est pas la meilleure. Et il est tenace, mon garçon. Mais il n'est pas le seul. Je n'en ferai pas un p'tit crisse, crois-moi, lecteur-partiellement-découragé-d'avoir-un-jour-des-kids. Je suis la seule qui puisse l'aimer autant malgré tout. Alors je l'aimerai. De toute ma patience, je l'aimerai. Avec toute ma fermeté, je l'aimerai. Assez pour ne pas le laisser prendre une place de marde, question qu'il puisse voir le show qui passe et qui passe trop vite. De toute ma solidité, je l'aimerai. Je l'aimerai inconditionnellement. Assez pour qu'il finisse lui aussi par s'aimer assez. Et finalement, malgré son entêtement et à cause du mien, ma certitude restera une certitude.


Pour toujours.


...Pis quand il aura oublié de prendre un break entre le Fucking Four et l'adolescence, je t'écrirai un autre texte, lecteur loyal.



mercredi 7 mai 2014

Le jour de la marmotte

C'est pas vraiment que j'veux m'plaindre, c'est pas que j'aime pas ma vie, c'est pas que j'en suis au point de me balancer en position fœtale au beau milieu d'Henri IV, mais j'ai un peu envie de me répandre. Je t'explique, lecteur empathique. Être prof de secondaire deux et mère de deux gamins, c'est comme travailler sur la construction et se bâtir une maison en même temps. Ça manque de diversité. Il y a là comme une légère redondance dans ta journée. Tu fais exactement la même affaire du lever, pratiquement jusqu'au coucher. Ta job, elle ressemble trop à tes soirées. Ben non, lecteur désappointé, je n'enseigne pas le schéma narratif à mes enfants!!! T'es drôle! Nenon, je t'illustre plutôt que de t'expliquer.


7h00


- Mamaaaaan? Oli m'a donné un coup de livre sur la tête!
- Non, c'est pas moi, c'est elle qui m'a fouetté avec sa doudoooooou!
- Oli, habille-toi!
- Mamaaaaaaan, Oli s'habille pas!
- Ouiiiiii, j'm'habiiiiiille! (Avant de passer, flambant nu, devant la porte de la salle de bains.)
- Mamaaaaan!!! J'trouve plus mon livre de la bibliothèèèèèèque!
- Moi j'ai perdu ma tite autoooooo...
- Charlotte, peigne tes cheveux, je m'occupe de ton livre! Oli, habille, sinon tu resteras tout seul en haut quand je descendrai!
- Je sais pu sont où, mes pantalons...
- Mamaaaaaaaan? Oli s'habille paaaaas!
- Charlotte, c'est pas toi la mère.
- Je sais!!!
- Ben laisse-moi gérer ton frère.
- JE SAAAAIS!!! (Le ton adolesce tant qu'il le peut, les yeux roulent caricaturalement vers le haut et le soupir poussé ensuite laisse croire qu'elle a une cinquantaine de bougies à souffler sur son gâteau de fête, sauf qu'y a pas de gâteau, lecteur gourmand.)
- Ben si tu sais, descends pis arrête de jouer à la mère supérieure.
- Aaaaaaaah!!!
(Exaspération naissante et retour à ma recherche infructueuse du viarge de livre de la viarge de bibliothèque.)
- Oli, as-tu fini de t'habiller?
- ...
(Recherche intensive sous le lit, sous les draps, à travers le linge, fouille craquale du divan (bon, je sais, un livre dans les craques du divan, c'est impossible, mais c'est un réflexe de chercher là!), fouille du congélo (tsé, quand t'es désespérée!).)
- Oliiiiii, es-tu habillé, là???
- ...
- Oli?
 (Curiosité naissante... Déplacement subit de mon intérêt du livre vers le silence louche qui envahit l'étage...)
- Ah, voilà... il était là, le livre... (m'exclame-je, en attrapant le fugueur, bouche-bée soudainement devant la vision de mon fils, pénis en liberté, qui a tout de même enfilé son chandail à l'envers sur ses jambes après avoir délicatement renversé tout le contenu de l'humidificateur sur le plancher flottant (c'est maintenant tellement le cas de l'dire!) de sa chambre!)
- Pis t'es même pas habillé...
- Ouiiiii, j'suis habillé...




8h51, entrée des élèves dans ma classe.


- Madaaaaaaaaaaaame! Il a pris mon étuiiiii! (Ton geignard, beaucoup trop pour le physique imposant de celui qui se plaint.)
- Ben là, Madame, c'est lui qui m'a volé mon livre en premier!
- Redonnez-vous donc les deux vos affaires, me semble que c'pas difficile à régler. En avez-vous d'autres, des faciles de même?
- Ouin, redonne-lui donc, vous êtes ben tannants!
(Bousculade à travers les bureaux pour rapatrier leurs objets respectifs.)
- Les gars, lâchez-vous, sinon j'vous sors avant même que le cours commence.
- Madaaaaaaaame? J'ai perdu mon document sur les participes passés!
- Attends un peu, je t'en trouve un autre. Les gars, assoyez-vous à votre place, vous avez trop d'énergie, j'suis en sevrage de café, moi!
- Madame, c'est pas moi, c'est lui qui veut pas me redonner mon étui.
- Les gars, faut ti j'vous envoie dans vos chambres, là?
- Ah, redonne-lui donc, vous êtes ben bébés!
- Aye, Chose Bine, c'tu toi, l'prof?
(Rires gras, étui qui atterrit bruyamment sur le bureau. Document des participes passés introuvable, recherche intensive et infructueuse sous mon cahier, sur mon charriot, à côté de l'ordi, derrière le tout nouveau et flamboyant tableau interactif (sait-on jamais!), sous le bureau.)


8h55, début des cours, dernière cloche.


- Madaaaaaaaaaame? J'peux-tu aller boire?
- Heu, non, tu viens juste d'entrer dans la classe, c'est pas pour ressortir!
- Ben là, pourquoi?
- Fais "rewind" pis "play", ok?
- Madaaaaame? L'avez-vous mon document sur les participes passés, je l'ai vraiment perdu!
- Ben là, Madame, c'est pas bon de se retenir longtemps!
- Tu viens pas de me demander d'aller "boire", toi?
- Heu... ben... oui, mais... tsé, genre... se retenir d'aller boire là!
- Bon, lâche prise, là, j't'ai répondu. Si tu sors, tu ne rentres plus.
- BEN LÀ!!! (Le ton adolesce, tu le sais, lecteur perspicace! Et les yeux s'insurgent!)
- Ben oui, c'est ça, c'est d'même!
- Pffffff! (Le soupir est tellement puissant qu'il aurait éteint à lui seul les gâteaux de jumelles centenaires!)
(Exaspération grandissante... Pourtant, en prenant mes absences, je continue tout de même à fouiner dans mon cartable pour le document des participes passés, tout en distribuant les feuilles de révision de l'examen du MELS et ce, en ramassant une copie de pratique d'écriture remise en retard et en tentant de boire une gorgée de café que mon fils m'a empêchée de prendre ce matin à cause du dégât sur son plancher-pu-si-flottant-que-ça que j'ai dû éponger en l'aidant à se rhabiller correctement et en lui expliquant, à travers ses larmes, que non, il serait impossible de laisser son lac là pour qu'il y joue avec ses bateaux ce soir, gorgée de café qui dégoûte inélégamment sur mon bureau et que j'essuie négligemment avec un mémo de la direction que je tiens dans les mains.)
- Voyons! Y'a pas quelqu'un qui a vu passer le document sur les participes passés, je cherche mes copies!!!
(Silence trop rare dans mes journées, mais qui pourtant, n'augure finalement jamais rien de bon...)
- C'est pas ça que vous avez dans les mains depuis tantôt... le truc plein de café là?
- ...




Je t'épargne le reste de ma journée. Et ma soirée.