jeudi 29 août 2013

Les souliers de la rentrée

Elle était grande dans ses petits souliers. La tête haute, l'œil attentif, le pied gambadant, l'humeur frétillante. Je l'ai bien regardée, quand elle m'a précédée dans le corridor. Dans SON corridor. Quelque chose avait changé pendant la nuit. Elle était devenue immense dans ses minuscules souliers. Et ma fierté a grandi encore avec elle. Elle traversait un défi les épaules droites et le rire léger. Mes pires scénarios tout à coup s'évaporaient chassés par le mouvement de sa queue de cheval qui sautillait au même rythme qu'elle. Je l'ai observée prendre sa place, une toute petite encore. Elle avait la parole tranquille mais le pas sûr. Et quand je l'ai quittée, c'était le cœur souriant. Parce qu'elle avait autre chose à faire que de se pendre à mon cou. Parce qu'elle avait les yeux curieux. Parce qu'elle était occupée à s'envoler. Et je l'ai laissée se lancer, rassurée.

Dans mon corridor, plus tard, à travers la frénésie des premières rencontres racontées par des collègues parfois déjà découragés, d'autres fois pleins d'espoir, j'ai vu mes grands. Mes grands si petits dans leurs souliers qu'ils trainent parfois si lourdement. Mes grands pourtant pas si grands qui ne veulent plus être des enfants. Mes grands qui n'ont plus le pied gambadant. J'ai bien observé leurs yeux. Et j'ai cherché dedans. Il y en avait encore des pétillants que certains essayaient de camoufler sous leur désinvolture et leur corps bringuebalant. Et je me suis lancée, rassurée. Avec mes grands enfants, qu'encore une année, je laisserai se penser grands. Qu'encore une année, je verrai un peu grandir, même s'ils pensent avoir fini. Mes grands que je verrai tomber, s'enfarger, se relever, pleurer, s'exclamer, se taire, se décourager, recommencer, détester, vouloir, se vexer, rire, aimer, s'écoeurer, s'excuser... vivre. Parfois intensément. Mes grands enfants que j'aimerai malgré tout. ...Mes grands enfants pas si grands dans leurs tout petits souliers.

mercredi 28 août 2013

Poussez, mais poussez égal

Ma fille entre à la maternelle demain matin... Voilà ce que j'avais écrit quand on l'y avait inscrite.

Je vous vois, grandir, trop vite. Pousser. Haut. Devenir vieux. Vous épanouir. Découvrir. Choisir, tout seuls. J’ai peur. J’ai peur, parfois du temps qui file. Aujourd’hui, on t’inscrit à la maternelle, demain, tu entreras à l’université. Ce matin, il a fait pipi dans ses pantalons, demain soir, il s’achètera des condoms.


Vous découvrirez, en grandissant, qu’un gun n’est pas un télescope. Vous découvrirez que le méchant loup, ben, il existe vraiment. Que le prince charmant, lui, trop souvent, il est aux gars. Qu’une marraine n’a finalement rien d’une fée. Que le divan, ce n’est pas un bateau de pirates. Que les gentils ne gagnent pas toujours. Que les méchants ont souvent l’air d’avoir beaucoup d’amis. Que les gentils sont parfois méchants. Vous découvrirez. Tout seuls. Comme des grands. Ce que d’autres ont découvert. Et je devrai vous laisser découvrir, vous laisser vous éloigner de l’enfance et de ses bonheurs simples, de sa candeur, de sa légèreté, de ses dinosaures et de ses princesses, de ses lutins et de son Père-Noël. Je devrai vous laisser découvrir la réalité. Et si je n’avais qu’un vœu à faire, je souhaiterais que toujours, malgré ses défauts, vous aimiez cette réalité. Votre réalité. Votre vie. Même si parfois elle est dure et laide, toujours il faut l’aimer, la vie. Parfois elle nous écrase, nous gifle, nous griffe. Parfois, elle mord. Elle a ses humeurs, la vie. Et elle n’écoute personne. C’est pour ça qu’il faut l’aimer, parce que parfois elle est détestable. Mais quand elle voit que même si elle est chiante, on continue de l’aimer, elle devient alors plus douce. Et si on sourit quand elle voudrait qu’on pleure, on devient plus fort. Et si on l’aime, ben elle nous aime aussi.


Je sais, vous poussez. Haut. Et vite. Et bien. Mais, mes enfants, grandissez curieux. Et impressionnables. Vous ne saurez jamais tout, aussi bien le savoir maintenant. Et cette vie, c’est pour ça qu’elle est belle. Parce qu’elle a toujours une chose à nous apprendre. Elle est bonne pédagogue, faites-lui confiance. Et cherchez à savoir, à voir, à connaitre, à découvrir. Et extasiez-vous : elle est impressionnante, la vie.
Vous poussez, je le sais. Vous grandissez. Vous devenez vieux un peu. Mais vieillissez fous. Pas trop droite. À votre goût. Courez, criez, riez, jouez, sautillez. La vie, elle n’est pas sérieuse. Et si parfois elle est grise, c’est la folie qui lui redonnera ses couleurs. Parce que la folie, elle la fait toujours rire, la vie.
Je le sais, mes enfants, que vous devenez grands. Que demain, vous vivrez un peu plus sans moi. Mais gardez, dans vos yeux, un peu de brillance, un peu d’enfance. Parce que vous êtes tellement beaux comme ça.

lundi 26 août 2013

À tous les grands de ce monde

Chu petite. En général, je m'aime ben. Mais mauzus, j'ai un défaut de fabrication majeur : chu petite. Je devrais porter en permanence à mon cou, tel à un rétroviseur de char, une pancarte d'handicapé. Ah, je vous entends déjà vous insurger : "Arrête de te plaindre! Tu as tes deux bras, tes deux jambes, tes yeux, tes oreilles, ton nez, des genoux, des coudes, un nombril, un cerveau relativement en bon état, comment peux-tu ainsi te répandre dans ton malheur?" Bon, oui. Je sais tout ça. Je ne suis pas vraiment handicapée. Je veux juste dire que dans un monde de grands - ou du moins de plus grands que moi - je suis handicapée.

Vous doutez. Je le sais, je vous vois regarder votre écran avec un sourcil relevé, incrédule. Avez-vous déjà essayé d'être petit? Oui, ok. Non, je sais, ma question est mauvaise. Tout le monde a déjà été petit. Mais c'est pas pareil. Quand vous étiez petit, il y avait un grand, généralement appelé "adulte", qui s'occupait de vous. C'est pour ça que les adultes sont indispensables, parce qu'ils sont grands. Mais diantre! Que fait-on quand on est un petit adulte? (Parce que faut dire que je m'y suis fait, je suis une adulte. J'ai une carte de crédit et un lave-vaisselle. Pis en plus, j'ai un peu deux enfants. Mais je m'éloigne du sujet là.) Je réitère donc ma question : que fait-on quand on est un petit adulte?

Je vous réponds : on fait un peu pitié.

Le pire, évidemment, c'est quand on se retrouve dans une foule. N'importe laquelle. Il y en a des pires que d'autres, mais toute proximité avec une grande quantité d'adultes grands est un supplice. En fait, plus la proximité est grande, plus grand est notre désarroi. (N'est-ce pas qu'il est drôle, ce mot, désarroi, au singulier... Me semble que je lui mettrais un s. Pourtant, quand l'emploie-t-on au pluriel?! Je sais, je m'éloigne...) Vous tenterez l'expérience, vous, grand adulte suspicieux au sourcil relevé. Quand vous serez dans une foule, baissez-vous à ma hauteur. Cinq pieds deux et quart, que je mesure. (Ben non, je sais, je ne suis pas naine. Et il y a des plus petits que moi. Mais là, c'est vous qui vous éloignez du sujet. Je n'ai jamais dit que j'étais naine! J'ai juste dit que j'étais handicapée de la hauteur!) Alors faites le test. Et observez ce que vous voyez. Hein? Vous voyez quoi, hein? Hein??? RIEN!!!!! Rien PANTOUTE!!!! Non. J'hyperbolise. J'exagère encore, pour le show. On voit ketchose. On voit quoi? Regardez mieux là. On voit quoi? DES ÉPAULES ET DES DOS. C'est ça qu'on voit! Wow! C'est l'fun hein! Pis là, parce que vous êtes dans un spectacle du Festival d'Été de Québec sur les plaines d'Abraham (Ben oui! Vous ne le saviez pas hein?), tentez maintenant de voir la scène. Nooooon, vous n'êtes pas dans la pente proche de l'arbre. Vous avez, parce que vos amis étaient crinqués, tenté de vous faufiler jusqu'en avant, puisque là, l'ambiance est festive. Inévitablement, vous vous rendrez compte que des dos, ça n'a rien à se garocher dans un mur. Vous allez, indubitablement et inutilement, vous percher sur la pointe de vos pieds, tenterez malencontreusement de rassembler des canettes de bière et un tas de roches pour y grimper et voir au moins les écrans géants. Ou bedon juste les spots de la scène, please! Ou encore, quand vous irez faire la file pendant deux heures pour voir Roger Waters, vous prévoirez le coup, et vous trainerez, dans votre sac, des blocs de styrofoam sur lesquels vous vous jucherez. Malgré tout, devinez quoi. Vous ne verrez rien!!! Parce que, loi de Murphy oblige, il y aura assurément un gars de huit pieds dix avec des épaules de joueur de football qui viendra se placer devant vous.

Pire encore, (vous ne vous doutiez pas qu'il pouvait avoir pire, hein!), puisque vous êtes désormais petit, à votre désarroi (encore ce mot!) grandissant, vous deviendrez immanquablement un passage potentiel pour tous les grands crinqués qui tentent d'augmenter leur niveau de délire en se rapprochant de la scène. Du haut de leur hauteur, ils auront l'impression qu'à votre place, il n'y a personne, puisque du bas de votre basseur, votre tête sera cachée par les épaules des voisins. Tous les crinqués de cette foule se diront : "Tiens, tiens, un passage!" et se dirigeront vers vous. Il se créera donc un genre d'autoroute de crinqués devant vous. Je vous vois, devant votre écran : vous vous relevez tranquillement, vous en avez déjà assez d'être petit. Mais restez à ma hauteur, encore une petite (sic!) minute. Je sais que c'est pénible, pas loin du supplice, parce que s'en suit la parade des crinqués avec leurs sacs à dos que vous recevrez directement dans la face et les inévitables bousculades de crinqués qui ne vous avaient pas vu. En quelques mots : vous ne verrez rien du show, le son sera évidemment atténué par tous les grands de ce monde qui vous bouchent la vue et vous aurez l'impression de nager dans un blender.

Et que ferez-vous, vous qui savez ce que c'est que d'être petit, quand vous choisirez votre place dans une foule, hein? Vous, qui connaissez ce handicap, vous regarderez derrière vous pour vous assurer que le géant de huit pieds dix voit bien, que vous ne lui cachez pas la vue. Ironique, non?

Je pourrais continuer encore longtemps et me lamenter sur la hauteur standard des comptoirs de cuisine, sur l'impossibilité d'atteindre les armoires du haut sans grimper le mont Kilimanjaro, sur le défi presque insurmontable que représente l'achat de pantalons avec la coupe du genou à la bonne place, sur les torticolis à force de regarder les gens de bas ou sur l'incapacité de conduire certaines voitures sans utiliser un bottin téléphonique, mais je m'abstiendrai. Je pense que vous avez compris mon handicap. N'est-ce pas?

Grands de ce monde, vous qui savez maintenant ce que c'est que d'être handicapé, suivez désormais cet adage : "Il faut toujours se placer derrière plus petit que soi."

(Vous avez le droit de vous relever, là, vous avez l'air un peu con...)

samedi 24 août 2013

Première impression

Je pense. Tout le temps. Même la nuit. Et je n'ai rien de particulier, sauf être unique, comme tout le monde. Mais j'écris. Tout le temps. Même la nuit. Alors voilà, fallait ben je fasse comme tout le monde et que je finisse par bloguer un peu, moi aussi. Et je cherchais un nom original.  Et un titre original. Et un concept original. Mais comment être original dans un monde rempli d'originalité. J'ai choisi la simplicité. Ah, et j'ai l'air ben sérieuse de même, là, à première vue. Pourtant c'est pas toujours des affaires ben ben intelligentes qui me trottent dans la tête quand j'insomnise. Pis même quand j'insomnise pas... Donc je ne passerai pas ma vie à me présenter, voilà ce que j'ai écrit, hier, en revenant de ma première journée de travail après un long congé de deux mois, à mes amis profs.


Amis profs : parce qu’aujourd’hui, première pédago de la rentrée, j’ai dû boire un peu trop de café tout en devant rester assise trois heures à écouter ce qui aurait pu m’être dit en une et que donc, je n’ai pas pu courir dans les escaliers et faire des coups d’intercom pour dépenser mon énergie, j’ai décidé de vous écrire quelques conseils pratiques pour la rentrée question de me défouler un peu. V’savez, la rentrée, c’est un moment délicat. On n’a pas deux chances de donner une bonne première impression, dit-on. Pis quand t’as trente – ou trente-trois, ou trente-seize – paires d’yeux qui te jugent, faut pas que t’aies l’air imbécile au premier cours, sinon, tu vas devoir rattraper ta mauvaise impression pendant au moins six mois. Donc voilà, c’est basé sur mes nombreuses observations, du vécu et des recherches, tout est très scientifique.

1- Il est déconseillé de se faire une coiffure impossible à réaliser à nouveau. Faire un effort du cheveu est une excellente idée, mais si vous tentez d’avoir la même tête que votre meilleure chum à son mariage, c’est trop. À moins que votre amie soit vraiment une personne simple et qu’elle ait opté pour des cheveux lousses avec un tit voile su’l dessus… Mais encore là, va falloir laisser tomber l’idée dudit voile.

2- Portez une brassière, à moins d’être un homme.

3- Évitez la surdose de maquillage si vous avez l’habitude de ne mettre que du mascara. Vous allez vous tanner de vous maquiller, anyway, au bout d’une semaine, et vos élèves vont vous trouver de plus en plus laide… ou de plus en plus belle, selon vos capacités à vous maquiller.

4- Avant l’arrivée des élèves dans votre premier cours, vérifiez votre fly. Et montez-la au besoin. Par pitié.

5- Ne mettez pas tout de suite votre plus beau tit kit. Gardez-le pour le troisième ou quatrième jour, dans le but de les laisser penser que vous ne souhaitez pas TANT QUE ÇA faire bonne impression. Tsé. Quand même.

6- Ne parlez pas de votre obsession pour les licornes.

7- Il est inutile de gaver les élèves de barres de chocolat pour les amadouer, ça va vous coûter inutilement cher. Pis le prof du cours d’après finira par vous détester.

8- Ne tentez pas de faire passer une de vos flatulences sur le dos d’un élève. Vous ne les connaissez pas encore assez.

9- Évitez tout simplement les flatulences, ce serait bien.

10- Ne riez pas invariablement de vos blagues, elles sont probablement moins drôles que vous le pensez.

11- Gardez vos souliers dans vos pieds, ne vous couchez pas sur le bureau, ne mangez pas de la craie, ne grattez pas compulsivement votre coude ou votre poignet, ne portez pas de croix gammée, ne parlez pas à votre rétroprojecteur. Juste au cazousse que tout ça n’était pas déjà une évidence.

12- Assoyez Kevin dans la première rangée.

13- Si c’est votre dernière rentrée avant votre retraite et que votre speech-de-premier-cours est encore le même qu’à la première année, changez de speech.

14- Ne mangez pas d’ail pour déjeuner.

15- Si vous avez quand même mangé de l’ail pour déjeuner, ne passez pas l’heure et quart à souffler dans la face de Kevin. Il va monter la classe contre vous.

16- Ne faites pas de geste du genre parle-à-ma-main si Camille-Émily-avec-un-y  Castonguay-Durand vous fait de l’attitude quand vous lui désignez sa place très loin de celle de sa bbf. Vous ne la connaissez pas encore assez pour que les autres élèves le voient comme une blague et rient avec vous. Pis elle va probablement monter la classe contre vous avec Kevin, c’est son chum depuis six jours, ils sont déjà fiancés, tsé.

17- Ne prononcez pas les termes « yolo » ou « swaag », vous allez avoir l’air de vouloir avoir l’air cool. (Pis anyway, cool, c’est pu vraiment cool…)

18- N’alignez pas vos crayons sur votre bureau en ordre de couleurs du cercle chromatique après avoir obsessivement classé vos livres en ordre de grandeur, dessiné de petits ronds par terre pour indiquer l’emplacement exact de chaque pupitre, effacé les « En ca de feu, laissé brulez » sur le côté de chacun de vos dictionnaires et camouflé avec une couronne de fleurs la trace du crucifix laissée sur le mur depuis que la religion a quitté nos écoles en laissant des traces qu’on n’a pas eu encore le budget de faire disparaître. Ça paraîtrait trop que vous avez un TOC.

19- Ne vous faites pas remplacer, sauf si votre fille de cinq ans rentre à la maternelle et que vous devez l’accompagner. Ça c’est une bonne raison. Ah, et aussi si vous vomissez.  Quoique…