samedi 31 décembre 2016

Les craques du trottoir

L’humain a la superstition facile. Il cause à effet pis après, il croit qu’il sait. Il s’attribue du contrôle. Pour l’espoir. Pis il se persuade qu’il influence, qu’il peut prévoir.  Il se règlifie le quotidien, le vocabulaire pis se ritualise le sport. Pis il se convainc qu’il a du pouvoir. Ça commence souvent par les lignes du trottoir, les trèfles à quatre feuilles, les dessous d’échelles pis les chats noirs. Pis le cassage de miroirs. Pis ça évolue différemment selon le sexe que t’as.

Si t’es une fille, tu vas fort probablement faire des vœux. Les filles font des vœux à 11h11 surtout, à 1h11, à 2h22, à 3h33, à 4h44, à 5h55 pis à 12h34 si elles sont vraiment wild. (Pas toutes, c’est vrai, lectrice athée de la superstition, je sais. Mais plusieurs. Arrête de t’insurger pis de crier au sexisme pis au stéréotype pis à l’égalité de la femme, là, on généralise rienque!) Faque les femmes, elles voeutent. Pis elles le choisissent avec soin, leur vœu. Pis sérieux : SÉRIEUX! Elles ne vous confieront JAMAIS leur vœu. Même sous la torture. Parce qu’en plus, elles font presque toutes le même chaque fois depuis qu’elles ont l’âge de voeuter, faque faudrait toujours ben pas leur gâcher leur vieux voeu! Parce que formuler un vœu, ça prend du doigté : ne formule pas un vœu qui veut! Il doit être général, mais précis, réaliste mais pas trop. Pis il doit être complet. Sinon ça se peut qu’il se réalise tout croche parce que t’auras pas précisé qu’il doit être célibataire, l’homme de ta vie, tsé.

Je peux te l’écrire à toi, lecteur impudique, moi je fais le vœu de gagner 25000$ depuis quelques années déjà. Pis je ne me gêne plus, fuck les règles du vœu, je le scande même tout fort à la serveuse quand elle me demande, à la fin du repas, si je prendrais autre chose.

Les gars, ils font pas ça, eux, des vœux. Non. C’est pas viril, les vœux.
 
Ce qui est viril, c’est de porter son chandail d’équipe pendant les séries, coûte que coûte, peu importe son état visuel et olfactif. Pis se faire pousser la barbe. Pis frencher son bâton de hockey avant une game, ça aussi, c’est foutument viril. Pis parler à ses poteaux. Pis aligner ses bouteilles d’eau. Faire des vœux, stie que c’est puéril. Mais avoir un numéro fétiche, des bobettes fétiches, une couleur fétiche, s’habiller dans un ordre précis pis cogner au plafond du char sur les lumières jaunes pour gagner 30 minutes de sexe, ça, ÇA, c’est cruellement mâle.

Par contre. Mais. Toutefois!

Il y a UNE superstition qui nous réunit. Qu’on répète inlassablement. Avec laquelle personne ne s’obstine. Une superstition qu’aucun gars viril et aucune fille puérile n’a envie de contredire. C’est une belle superstition, qui réunit au lieu de diviser. Qui relie. Qui noue. Qui nous unit. Celle qui nous force à se partager l’œil quand on partage déjà du temps, des rires,  une table pis des rhumes. Tu sais déjà de quelle superstition il est question, lecteur éveillé, et avoue qu’il ne te viendrait jamais à l’idée, à cause des conséquences dramatiques, mais aussi à cause de la beauté du geste, d'éviter de regarder l’iris de ceux avec qui tu lèves ton verre!

Faque je te lève le mien, lecteur festif, en te regardant la couleur de l’œil et en faisant le vœu que tu sois heureux grâce à et malgré ce que le gars des vues te garoche sur le chemin. De voir le beau même dans le croche. De vivre de la couleur, tout plein. Pas juste pour 2017. Pour 2018. Pis 2019. Pis 2020. Pour toujours. Ne jamais voir que le noir. Jamais, jamais.

Cheers!!!

Pis j’touche du bois.





mardi 13 décembre 2016

Si j'étais un homme...


Parce que parfois, c'est ma chum Manue Babin qui s'inspire de nos soirées pour trouver des mots mieux que les miens, voici les siens...

C’était un samedi embrumé. Une amie, un coin de bar, un verre de blanc; le nécessaire pour refaire le monde, pour se mettre à jour. On se raconte nos amours, nos histoires sans lendemain, ou celles de la veille qui ne finissent plus, des baisers échangés avec un étranger, la séduction, la solitude. On parle des hommes, parfois des femmes, des deux ensemble ou de comment s’en passer, du vide qu’ils peuvent laisser. « On ne nait pas femme, on le devient, disait Simone, et pour y arriver, le chemin est parsemé d’embûches. » Et nos verres se vident,  et nos propos s’emballent. On devient de plus en plus Simone.

- Si j’étais un homme, je saurais quoi faire avec une femme. 

- Ah oui, si t’étais un homme, tu ferais quoi avec une femme?
- Je lui ouvrirais la porte, l’aiderais à mettre son manteau, je la trouverais belle matin midi et soir sans son maquillage, les cheveux sur un ring de boxe. Je regarderais le fond de ses yeux, tout le temps. Je ferais en sorte qu’elle se sente unique et exceptionnelle à chaque instant. Je lui prendrais la main en marchant, je l’aiderais à descendre de l’auto, je lui achèterais des fleurs et lui écrirais des poèmes avec des rimes en é…c’est plus facile. Si j’étais un homme, je serais fort, vrai, grand et tellement beau. Je pisserais mon nom dans la neige pis je paierais des verres aux filles qui se font belles pour sortir.

On a sorti la galanterie du bunker et on l’a remise sur la table en se demandant quand et pourquoi on l’avait mise là. C’est réellement quétaine d’ouvrir une porte et de regarder passer une femme qui a les bras pleins? La femme a voulu se libérer, qu’elle vole, on ne lui mettra plus son manteau? Ces questions sont restées sans réponse puis on a pris la route pour changer d’air, qui était un peu froid en ce soir de novembre. En chemin, quelques compliments lancés avec politesse nous ont redonné foi en l’humanité et confiance en nous. C’est donc pleines d’assurance qu’on a continué cette conversation sur un autre coin de bar avec un cocktail de fille… je sais, c’est cliché et très sucré, mais c’est toujours une bonne entrée en matière. Ah! pis on est des filles ou on l’est pas!

Rêvassant d’être quelqu’un d’autre, on a laissé le cocktail nous glisser entre les dents. La place était remplie de garçons, tous plus beaux les uns que les autres. À leurs côtés, des filles qui s’ennuient à mourir pendant que nous, on rigole à pu finir.

On s’est fait payer un verre parce qu’on s’était quand même mises belles pour sortir. Un verre de blanc, meilleur et plus doux, moins sucré, plus léger. Et on a retourné la question à celui qui avait fait un homme de lui. Et toi, si tu étais une femme, tu ferais quoi ?

- Je serais danseuse parce que c’est payant en estie!

- Être une femme, dit l'autre, je me ferais belle, je me laisserais payer des verres et rentrerais seule. Je profiterais de ce pouvoir de séduction pour faire tourner les têtes sans faire bouger les cœurs. Je serais une agace, une solide agace qui dit toujours non. Une aguicheuse, une coquine allumeuse, une manipulatrice.

Je vide mon verre d’un trait, m’étouffant presque avec la dernière gorgée qu’on venait de m’offrir et je commande une autre bouteille. Je remplis mon verre puis celui des autres assis autour de cette discussion qui prend des airs de jupette trop courte et de nom jaune pisse dans la neige; c’est cliché, presque vulgaire, mais intéressant.

Pour sauver la mise, le plus mignon des trois ose dire autre chose.

- Si j’étais une fille, ça ne changerait rien. Pour moi, le respect dans la relation reste la chose la plus importante. L’importance de se dire du vrai, de se laisser aller pleinement et d’être soi-même. Que tu sois fille ou garçon. 

Être soi-même, vraiment? Et moi qui rêvais justement d’être quelqu’un d’autre.

...
Pendant ce temps, non loin de là, une fille sans défense perd la face et toute envie d’aimer un homme. Son cri et sa douleur ont indubitablement dû déchirer la douceur de cette nuit de novembre, mais son appel à l’aide est resté accroché au vide. Sur elle : un homme, une main fermée, un poing sans amour, un bouquet de fleurs fanées, un poème qui ne rime pas en é. Elle s’était mise belle pour sortir, maintenant elle a juste envie de rentrer. Il lui a enlevé sa jupette et son estime d’elle-même. À la place, il l’a revêtue d’une violente envie de tuer. Il aurait pu lui faire l’amour, s’il avait été un homme, mais il lui a fait la violence. De toute sa puissance. Il lui a pris ce qu’elle avait de plus beau et de plus précieux; son envie d’être une femme. Pour lui : une histoire sans lendemain. Pour elle : un lendemain sale, buriné, gravé. Un maudit long lendemain. Elle, qui pourtant se disait, comme beaucoup d’autres : « Si j’étais un homme, j’ouvrirais la porte aux femmes, je leur prendrais la main en marchant… »