jeudi 31 décembre 2015

La fin du Perno

Juillet 2008.

La soirée est douce. Par la fenêtre ouverte de la voiture, on sent que la chaleur de la journée baisse un peu les bras pendant que toi, derrière, ce sont tes paupières que tu as enfin laissé tomber. L’air sent l’été, les feuilles, le gazon coupé, l’humidité, l’asphalte chaude et la peau brûlée. Le fleuve reflète les lumières des ponts, c’est beau. Et de l’autre côté, de petites lumières brillent. Celles de Lévis. Celles plus loin de l’île d’Orléans. Et j’ai hâte de te raconter que s’il y a de si petites lumières, c’est qu’elles éclairent les maisons de minuscules lutins. Pas plus hauts que toi. Qui dansent le soir. (Me semble que des lutins, c’est inévitable, ça danse le soir, non?)  J’ai hâte que tes oreilles soient assez grandes pour entendre un peu de magie. Que tes yeux brillent en imaginant les mots qui s’enchainent. J’ai hâte de t’inventer des histoires et qu’elles dansent dans ta tête comme du feu et qu’elles allument tes rêves et qu’elles vivent un peu. J’ai hâte que des traces d’oiseaux dans la neige deviennent des pas d’ogres nains mangeurs de bas dans la sécheuse. Que les coquillages aient servi de p’tit change à des sirènes. Que Georgette, notre amie imaginaire, ait dévoré tous les biscuits au caramel pendant la nuit.

En roulant sur Champlain, je ne sais pas encore qu’un jour, je jouerai à la fée des dents en  couvrant ma tête d’une doudou en guise de turban, question d’être un peu plus méconnaissable si tes yeux s’ouvrent, et mes pieds de gros bas pour éviter qu’ils fassent du bruit sur le plancher flottant. Je ne sais pas que je t’écrirai une lettre en son nom, un jour, parce qu’à ta cinquième dent, j’aurai oublié de venir porter les sous pendant la nuit. Je ne sais pas non plus que tu la garderas pendant des années sur la tablette à côté de ton lit et qu’il sera hors de question que je la jette. Je ne sais pas que je ferai comme des milliers d’autres parents et que j’imaginerai chaque soir, avant Noël, des mises en scène diaboliques de freaking lutins. Je ne sais pas que ton frère et toi m’entendrez, un soir, mettre du Saran Wrap dans la porte de votre chambre et que je mentirai en affirmant que je pliais du linge. Devant votre porte de chambre. Avec un fond de bruit de Saran Wrap, ben quoi, ça arrive souvent, ça!... Je ne sais pas encore que tu te souviendras, des mois plus tard, que ce sont eux qui t’avaient donné les cocons de papillons lune alors que je serai en train de raconter à une amie que c’est un gentil collègue de travail qui me les avaient fournis. Je ne sais pas qu’un jour, trop tôt, tu remarqueras que le cadeau du lutin est emballé du même papier que ceux que j’ai moi-même emballés et que tu me regarderas d’un air sceptique, sourcil droit relevé, quand j’inventerai que je les ai entendus prendre mon papier pendant la nuit.

Je ne sais pas, en ce soir d’été, combien de fois je me demanderai à quel moment je devrai arrêter de te raconter. De te mentir un peu. Je ne sais pas encore à quel point je préfèrerai cette lumière dans tes yeux à la réalité. À la vérité. Je ne sais pas qu’un jour, tu regarderas le Père-Noël en me chuchotant à l’oreille qu’il porte une fausse barbe. Je ne sais pas encore à quel point ça me rendra triste quand je te demanderai ce que ça veut dire et que tu répondras que c’est parce qu’il n’existe pas. Tu ne sauras pas, ce soir-là, à quel point je serai tiraillée entre te laisser vieillir et te garder encore un peu une enfant. Tu ne sauras pas à quel point j’aurai envie de t’inventer autre chose pour justifier la fausse barbe et le costume un peu délavé. Tu ne sauras pas non plus que ce moment représentera pour moi  le début de la fin de la magie. Une autre parcelle d’enfance qui s’envole, qui tombe comme ces petites dents que je garde pour toi dans une bouteille de pilules. Tu ne sauras pas ce que ça me coûtera de confirmer ta certitude vacillante en souriant et en te demandant de laisser ton frère y croire encore, lui.

Je ne sais pas encore. Parce qu’en ce soir de juillet,  j’ai juste hâte. Très hâte.


De te voir vivre ton enfance.







mercredi 2 décembre 2015

Bonheur facile

Charlotte a huit ans. Elle a de grands yeux étoilés et de jolies joues roses. Charlotte ne marche pas, elle gambade. Elle ne court pas, elle vole. Elle ne parle pas, elle s’exclame. Ses cheveux sautillent au rythme de ses pas légers. Elle aime faire des bonhommes de ketchup dans son pâté et respirer l’odeur de la forêt près de chez elle après que la pluie ait pleuré.

Charlotte aime regarder, le matin, les couleurs du soleil se transformer, se diluer et finir par s’estomper. Dans la fenêtre du deuxième étage, les nuages deviennent roses et orange et jaunes et bleus et mauves. Chaque matin, Charlotte regarde le ciel, comme si c’était la première fois,  se colorer, s’illuminer.

Charlotte aime les livres, les bonbons, les crêpes au chocolat et les crayons qui sentent bon. Elle aime le spaghetti à Mamie, l’odeur du feu, du gazon, des feuilles d'automne, des draps propres, des guimauves et du savon.

Charlotte aime les lumières de Noël, la musique classique, les pâtes blanches, le bruit des vagues, rire des blagues, la glace qui craque sous ses pieds et le hockey. Elle adore les roches, les coquillages, la lune, le sable et les étoiles. Surtout celles sur l’épaule de sa maman.

Depuis quelques mois, déjà, le papa et la maman de Charlotte n’habitent plus ensemble. Tout a changé, c’est vrai. Elle a maintenant deux maisons, deux chambres qu’elle partage avec son petit frère, un foyer où elle peut manger des guimauves chez son papa et un chat à qui elle lance des balles avec un grelot chez sa maman.

Charlotte a gardé, malgré tout, ses joues roses et son sourire, contagieux et doux. Et si Charlotte a le bonheur facile, c’est à cause de ses yeux. Ils regardent toujours le beau, le joli, le merveilleux. Le sucré, le brillant, l’adorable, le mieux. Le coloré, l’éblouissant, le lumineux. Et surtout, un peu de fou. Chaque jour, dans tout.

C’est à cause de ces étoiles qui habitent dans ses yeux que son bonheur la fait gambader. Celles qui brillent comme ce soleil qui, chaque matin, continue d’éclairer le même ciel en colorant de rose, d’orange, de jaune, de bleu et de mauve ces nuages qui ne font que passer.

Charlotte est riche. Riche d’une richesse que personne ne peut voler. Ses yeux sont un trésor que même la plus grande fortune ne pourrait acheter.


vendredi 28 août 2015

Celle qui fait pousser des enfants

Aujourd'hui, mon petit grand garçon quittait la garderie pour la maternelle et bientôt l'université. Il quittait, du même coup, la femme magnifique qui a pris soin de sa sœur et de lui depuis le tout début, il y a presque huit ans. Une femme éternellement jeune. Au cœur immense. Je n'avais pas vraiment les mots pour la remercier, ils devaient être grands. J'ai tenté ceux-ci, qui m'apparaissent encore trop petits :




Il y a ceux qui passent dans notre vie. Et ceux qui y entrent. Et y changent quelque chose. Et la rendent plus belle à force de faire partie du décor. Qui deviennent indispensables. Qui mettent de la vie dans la vie, pis des sourires qui n’en finissent plus de rire. Ceux qui y rajoutent de la musique, de la folie, tout plein, pis des yeux mouillés, pis des bras qui consolent pis des pieds qui dansent. Il y a ceux qui prennent de l’importance. Pis leur temps. Tout le temps. Il y a ceux qui aiment. Vraiment.



Et parmi eux, il y a elle.



Celle qui passionne. Celle qui rayonne. Celle qui sait si bien faire grandir les enfants. Qui les fait devenir grands. Celle qui trouve toujours le bon, la solution, la résolution. Celle-là même qu’on aime. Parce qu’elle a été là. Tant et tellement. Tout le temps. Parce qu’elle avait toujours un sourire plein de dents. Pis un calme évident, constant. Pis parce que tout ça, pis parce que mon plus petit est devenu un peu grand, je veux lui dire merci. Merci d’avoir changé quelque chose dans nos vies. Merci de toute son énergie. De ce qu'elle est, d’aimer ce qu’ils sont. De sa douceur, de sa passion. Merci. Merci, mille fois, merci.



Parce qu’avec elle, moi aussi j’ai grandi.


dimanche 12 juillet 2015

Ce silence qui fait du bruit


Ce matin, comme hier matin, la maison est calme.

Silencieuse.

Mais le silence, quand il hurle, il brise un peu les tympans.

Et ce matin, comme hier matin, le silence est criant. Pas de petite voix flûtée. Pas de son sourd annonçant qu’un objet qui ne le devrait pas vient de s’échouer sur le sol. Pas de petits pas sur le bois flottant. Pas de « mamaaaaaaan » retentissant à tout bout d’champ.

Silence. Calme.

Plat.

Pas de pieds froids collés sur mes jambes dans le lit, aucun petit doigt dans mes yeux ou mes oreilles pour me réveiller. Pas de gazon resté collé aux orteils qui traine partout sur le plancher que j’ai nettoyé et qui garde, étrangement, plus de dix minutes, son éclat alarmant qu’aucun bloc Légo ne vient troubler. Aucune course de tite auto dans le salon. Pas de voix insistante pour obtenir le contrôle de la manette de la télévision. Pas de yogourt renversé dans un regain de volonté d’autonomie. Pas de lait au chocolat. Pas d’escargot dans un pot. Pas de boucle à attacher, de bouche à essuyer, de cheveux à tresser.  

Que ce calme trop calme.

Que le frigo qui respire. Un café chaud. Et le bruit régulier de mes doigts sur le clavier.

Et ce vide.

Ce vide qui m’effrayait et que je dois maintenant apprendre à garnir. Ce vide que mes enfants avaient magnifiquement empli de leur petite vie.

Prends du temps pour toi pendant que tes enfants sont chez leur papa, qu’y disent.

Je le sais. Je le fais. Mais il y a de ces habitudes qui nous collent à la peau comme un plaster tout frais qu’on tenterait d’arracher.

Et comme j’ai dû un jour accepter le fouilli que ces deux petites vies foutaient dans la mienne, je dois maintenant apprivoiser l’ordre qui y règne quand ils sont partis vivre une petite partie de la leur ailleurs.

En buvant du café.

Chaud, pour une fois.



jeudi 11 juin 2015

Madame Christine

Parce que parfois, en fin d'année scolaire, il faut prendre le temps de remercier la personne qui a gardé un œil, ou deux, sur notre enfant et parce que les mots font souvent de beaux cadeaux, voilà ceux que j'ai donnés à Madame Christine :

Quand je serai grande, je rêve d'être comme elle. De garder, malgré les obstacles et les années, autant d'amour pour mes élèves. De garder, dans mes yeux, toute la tendresse qui brille dans les siens pour eux. Je rêve de mettre la main sur ce gant de velours glissé sur sa poigne de fer, celui qui prend soin au quotidien, celui qui se soucie, celui qui protège, qui réconforte, qui attentionne et compassionne 
 
Quand je serai grande, je rêve d'être comme elle. De laisser toujours cette passion enflammer mes idées pour leur permettre à eux de vivre du beau, du magique, du poétique. De sourire fièrement devant ce qu'ils réussiront. De m'émerveiller encore autant devant ce qu'ils sont, devant le chemin qu'ils suivront, devant leur évolution. 
  
Quand je serai grande, je rêve d'être comme elle. De laisser mes couleurs flamboyer, comme les siennes. Malgré les obstacles et les années. Ne pas m'affadir, ne pas ternir.

Briller pour faire briller.

Sourire pour faire sourire.
  
Aimer pour faire grandir.  
 
Comme elle. Pour eux.



mardi 12 mai 2015

Les fleurs, ça pousse même dans le froid

Pour la première fois de leur vie, j’ai fait un choix que je savais bousculant, bruyant, déchirant. J’ai choisi le déstabilisant. Le culpabilisant. L’inquiétant. Pourtant, je découvre en mes enfants une force que les adultes n’ont pas tant. Une capacité de vivre dans le présent, de rester confiants. D’avancer, malgré les tumultes, sans trop regarder ni derrière ni devant. Ils ont cette force que je leur envie tant. De marcher la tête dans le vent, les yeux ouverts et le rire plein de dents. Et je les vois continuer. À grandir. À pousser malgré le froid, malgré le mauvais temps. Et je les admire. Et j’apprends. Parce qu'ils gambadent dans la tornade. Parce qu'ils rient malgré la pluie. Et à travers le bruit et l’incertitude, ils fleurissent. Quand même. Et s'embellissent. Se renforcissent. Et grandissent. Surtout. Malgré tout.


Et je les admire. J'apprends. Que c'est pas tout d'être grand. Qu'il faut savoir être petit de temps en temps. Pour se laisser porter par le vent. Léger. Confiant.
 
Et je me rends compte que des fleurs, ça pousse. Tout le temps. Même dans les vents turbulents. Même quand le printemps est froid.







samedi 14 février 2015

Y fait pas beau, tout l'temps, partout.

Il y a ces semaines de tempête dont on parle rarement virtuellement. Ces moments turbulents qu'on tait dans ce monde d'apparat où il faut sourire sur les photos pour susciter l'envie avec le beau. Il y a de belles histoires, avec des licornes et des princes charmants, et il y en a d'autres, parfois, où les rêves foutent le camp. Tu le sais, lecteur désillusionné, que la vie nous garoche parfois un banc de neige qui cale jusqu'aux hanches dans le chemin et qu'elle nous regarde nous démener pour en sortir avec son estie de sourire baveux dans face! Et, comme un parent devant son kid qui apprend à nager, les bras croisés et l'œil amusé, elle nous tambourine les tympans avec les muscles qu'on se fera et la force qu'on prendra. Et moi, dans mon banc de neige, la face dans le vent, la pelle à la main pis les doigts su'l bord de tomber parce qu'ils ont froid, j'me dis juste que chu crissement pas ben là, drette là, mais que ça ira. Que la tempête passera. Que le printemps arrivera, il revient toujours, inlassablement. Pis qu'inévitablement, le banc de neige fondra. Mais j'ai quand même besoin d'écrire, même s'il y a du vent pis que les mots ne me viennent pas vraiment, parce que sinon ça tempête en-dedans pis ça fait mal au ventre. Faque fuck les apparences, lecteur empathique. Je sors une jambe de mon garde-robe virtuel pis j'te lance, comme ça, que chez moi, présentement, il fait pas beau tout l'temps.





samedi 10 janvier 2015

Journée d'gars

Aujourd'hui, c'était une journée d'gars. J'ai pas poussé l'audace à essayer de pisser mon nom de vingt-deux lettres dans la neige, mais j'y ai songé...

Une journée d'gars, c'est compter le temps en nombre de tirs au but.
C'est nommer les marques des voitures pendant qu'on les salue.
C'est se faire évaluer la qualité de goaleuse pis de scoreuse de buts.
C'est se faire dire qu'on sent bon même si on pue.

C'est se faire plaquer dans la bande de la galerie pendant qu'on se fait aller la pelle, les biceps pis les abdos à soulever l'épaisseur glacée de la semaine.
C'est devoir frencher une tite auto parce qu'elle a d'la peine.
C'est se faire demander en mariage au moins cent fois.
C'est se taper dans' mite pour n'importe quoi, à tout bout d'champ.


C'est se faire sortir de la lune par un coach d'un mètre qui proteste qu'il vaut mieux tenir son bâton à deux mains.
C'est courir, se pousser, se pitcher dans' neige, penser à rien.
C'est écouter plaider que Boston, c'est vraiment d'la marde.
C'est entendre imiter, après chaque but compté, une estie d'sirène criarde.


C'est se faire embrasser l'œil après qu'on y ait crissé un bâton de hockey victorieux.
C'est se faire clamer je t'aime en se regardant l'fin fond des yeux.
Se faire aussi dire qu'on est belle, qu'on a les plusses beaux cheveux.
C'est se laisser convaincre qu'on n'est pas si vieux, juste un peu.