jeudi 23 janvier 2014

Quand j'étais une hippie

Incontestablement, dans mon ancienne vie, j'étais une hippie et vivais dans une commune. Avec des poules et des vaches sans doute. J'avais fort probablement un champ de marguerites dans les cheveux et ben des patches sur mes jeans. Tout le monde s'aimait et avait un sourire béat collé au visage en permanence. Il y avait peut-être même une licorne ou deux qui gambadaient tout près de notre maison bâtie avec les roches puisées une à une au fond de la rivière qu'on entendait couler tard, le soir, quand nos chandelles avaient répandu sur le bois de la table leur vraie cire d'abeille des ruches d'élevage qu'on s'était patentées au bout du terrain. Mais ça, c'est moins certain...

On s'entraidait. L'un faisait la bouffe, l'autre lavait les bouches crottées des enfants qui piaillaient en cabriolant dans l'immense cuisine qui sentait bon les épices et les légumes, l'autre encore lavait le linge avec du savon concocté à même le lait de chèvre traite un matin où des rayons du soleil naissant empalaient des mousses de pissenlit voletant et tourbillonnant joyeusement. Personne ne se coupait les cheveux ni la parole. On était occupés, mais on était heureux ; chacun se préoccupant du bien-être de l'autre comme du sien. Pis le soir, on mangeait des guimauves bio en chantant "Heureux d'un printemps". D'ailleurs, Piché me doit encore des droits d'auteur sur la toune.

Pourquoi sais-je ça, t'enquiers-tu, lecteur inquiet?

C'est ma façon de me convaincre que c'est la raison pour laquelle deux réalités de ma vie actuelle me sidèrent autant.

Première réalité aberrante : l'isolement. Nos maisons sont de plus en plus grandes, avec de moins en moins de monde dedans. On a de plus en plus d'intimité, mais de moins en moins d'amitiés. De plus en plus de calme, mais de moins en moins de musique. De moins en moins d'enfants, mais de plus en plus de chambres. On s'isole. On s'éloigne. On se solitudifise. On se tour d'ivoirise.

Je m'ennuie de ma vie de hippie, où je pouvais entendre vivre.

Deuxième réalité consternante : l'égocentrisme urbain. On ne connait pas ceux qu'on côtoie, donc on ne s'en soucie pas. On force le piéton frigorifié à attendre au coin de la rue même quand on frôle le -40 degrés parce que c'est notre tour de passer au stop. On ne tient pas la porte à la maman avec sa poussette double, ses dix sacs pis sa broue dans l'toupet qui vient d'escalader les sept marches devant l'entrée du centre d'achats. On s'envoie chier pour des places de stationnement la veille de Noël. On coupe la file de chars à la lumière parce qu'il faut absolument arriver dix-huit secondes plus tôt au travail. On maugrée après la tite madame avec des grosses lunettes pis des cheveux sales qui cherche ses cennes à la caisse du IGA plutôt que de lui fournir la piasse qui manque. On lève le nez sur du monde qui couche dehors. Pis on se réconforte en se convaincant que c'est suffisant d'aller porter notre vieux linge dans le bac bleu sur le coin du Maxi. On a le nombril qui grossit, qui s'urbanise. Qui s'étend comme la ville qu'on habite.

Je m'ennuie des p'tits nombrils de campagne, qu'on pouvait encore laver avec un simple Q-tips.










dimanche 12 janvier 2014

À la recherche du OUMF perdu

6h15, Stoneham, dans la chambre d'en bas.

- Ma tite vache a mal aux pattes, tirons-la, par la queue, elle ira bien mieux, dans un jour ou deux... Maman?... (Temps d'attente, pour voir si sa comptine a bien joué son rôle d'alarme de cadran qu'on a juste envie de snoozer, un samedi matin, lendemain de sushis-martinis-finalement-virés-en-vodka-jus-de-tits-fruits-parce-que-j'avais-oublié-mon-soho.) Mamaaaaaaaaaaaaan? ...Ma tite vache a mal aux pattes, tirons-la, par la queue, elle ira bien mieux, dans un jour ou deux... Mamaaaaaaaaaaaan?????? (La voix monte d'un cran, elle se fait insistante, perceptiblement plus agaçante.) Maaaaaaaaamaaaaaaaaaaaaaan????? C'est où, nulle part, mamaaaaaaaaaaaaan? C'est tu proche de Stoneham? Maaaaaaaaaamaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaaan???????? (La voix, cette fois, me poignarde amoureusement les tympans.)

- Oli, il fait encore noir. Ferme tes yeux, marmonne-je, sans grand espoir.


6h15, Stoneham, dans la chambre d'en haut.

- MAAAAAAMAAAAAAAAAAAN!!!!!!! (La voix, stridente, est paniquée, les petits yeux sont exorbités, le doigt pointe le coin du mur vide.) UNE ARAAAAAIGNÉÉÉÉÉE!!! (Tit-Loup est recroquevillé derrière son oreiller, tapi comme un lapin traqué par un renard argenté.) (Le renard argenté, il les bouffe tu les lapins?) (Pis c'est quoi, au juste, la distinction entre le lièvre et le lapin, je l'ai jamais su!) LÀ!!!! LÀ!!!! MAMAAAAAN!!! L'ARAIGNÉÉÉÉÉÉE!!!

- Ben non, Tit-Loup, tu fais un cauchemar. Il fait encore noir, fais dodo, chuchote-t-elle, encore dans le brouillard du sommeil que son fils lui a fait quitter.

Elle, c'est ma chum. C'est dans son sous-sol que ma marmaille et moi - surtout moi! - tentons de dormir. La journée commence trop tôt, pour elle comme pour moi : pain doré, verres de jus, café, expériences scientifiques visant à transformer un dedans de couche en neige artificielle (j'te jure, lecteur incrédule!) et en fusée une poche de thé vide (oui, oui!), création de cup-cakes mauves avec leur crémage multicolore, diner, ramassage, sieste de la marmaille, départ avorté vers Québec parce que l'entrée pentue - pour ne pas dire le précipice en face de chez elle - est aussi glacée qu'un beigne au miel chez Krispy Kream, retour des bagages dans la chambre du sous-sol, souper, avions en papier, crise d'enfants fatigués, douches, histoire, dodo.

- OUF! soupirons-nous, exténuées, en nous pitchant sur la vaisselle qui traine et les avions en papier qui jonchent le plancher.

Le OUF, c'est lui qui a pris la place dudit OUMF disparu. Mais il importe d'abord, d'emblée, de te définir, lecteur désorienté, ce qu'est ce OUMF que nous cherchons. Le OUMF, c'est la fois où, comme deux folles, nous avons arrêté la voiture sous une pluie diluvienne pour danser dans les trous d'eau et ensuite quémander des sacs de plastique à un gars sur son balcon dans le but de ne pas noyer mes bancs d'auto. Le OUMF, c'est la fois où, à St-Tite-des-Caps, nous avons cogné à la porte d'un fermier pour lui demander si on pouvait emprunter son champ, le temps d'un coucher de soleil. Le OUMF, c'est la fois où l'on a relevé le défi de monter le plus haut possible dans le château Frontenac, sans carte d'accès. C'est aussi la fois où, rendues à Baie Ste-Catherine, nous avons repris le traversier parce que nous avions une soudaine envie de prolonger nos vacances à Tadoussac. Pis la fois où l'on avait tellement hâte à l'été pour faire du camping qu'on avait fini par coucher avec nos sleepings, dans mon char. Dans le stationnement. Avec nos tuques. Le OUMF, c'est le démarreur du moteur. L'énergie qui propulse le corps dans n'importe quelle aventure rocambolesque dont l'esprit se souviendra invariablement.

Mais il est rendu où, ce OUMF, qu'on se demande, effouérées dans le divan, après avoir dépensé le peu d'énergie qu'il nous restait dans l'essuyage des verres? Il nous semble ne pas l'avoir vu depuis un bon boute. Est-il mort? Ou a-t-il simplement vieilli un peu? Il est plus occupé, ça c'est certain. Il a moins de temps. Il manque de sommeil aussi. Il a un agenda chargé, il court partout! Il a des nez à hydrasenser, maintenant. Il a des cours de gym le samedi matin. Il se lève la nuit pour réconforter. Pis il a des bobos à béquer, des cris à calmer, des pistes de courses à monter, des princesses à sauver, des pirates à attaquer, des trésors à dénicher, des courses d'auto à remporter, des pouliches à peigner... Et c'est là que le OUF fait son entrée, sournoisement. Et le OUF nous essouffle. Et le OUF nous pantoufle. Et parfois même, le OUF nous étouffe. Pourtant, avachies dans le salon de Stoneham, le quatre pattes cloutées pogné en haut de la pente de la montagne qui sert d'entrée de maison, nous nous acharnons à croire en la réincarnation du OUMF, ma chum et moi. Parce qu'au fond, quand on regarde ça d'un oeil objectif, c'est juste le M qui a foutu le camp pour laisser la place à OUF. C'est dire qu'il n'est pas si loin, qu'il peut revenir. S'agit simplement de trouver le M... M comme marmaille. M comme matante aussi un peu. M comme mère surtout. M, juste un peu trop occupé à construire des fusées en poche de thé devant huit pupilles ébahies et à plier des avions en papier. À s'occuper des autres petits nombrils de nos vies. Des petits nombrils qui nous prennent tout notre OUMF parce qu'ils en ont tellement, eux!

On s'en ennuie, incrustées dans les coussins du sofa, de notre OUMF. Mais le OUF n'est pas si pire que ça non plus. Il est, comment dire, un peu moins égocentrique que le OUMF. Sans contredit un peu plus prenant, un peu plus organisé. Pour ne pas dire parfois astreignant. Mais tout autant spontané, divertissant, hilarant, valorisant, déstabilisant. Pis tsé, honnêtement, même en luttant contre le sommeil avec notre doudou dans le divan de Stoneham tout en regardant le verglas verglacer, on ne l'échangerait pour rien au monde, notre OUF. Tant qu'il travaille pour une bonne cause.

Bref, OUMF, prends ton temps. On te prendra quand tu reviendras. Pour l'instant, on va se contenter d'une dose de OUM pour se calmer et profiter de ce OUF qui, lui, ne reviendra pas.

(Merci, ma chum, pour cette soirée d'écriture si... essOUFflante! )



jeudi 2 janvier 2014

Le hockey



Dimanche prochain, on va à Montréal, voir les Canadiens pratiquer. Mon fils en parle constamment. Il va mettre son chandail des Canadiens avec "Higgins" écrit dans le dos, en hommage à mon nom de famille et à un certain Chris qui joue maintenant pour Vancouver. Ça m'a fait pensé à ce texte, que j'ai écrit l'an passé:
 
Il n’a pas encore 3 ans, mais maudit, il aime le hockey, mon gars. Il regarde le hockey avec son père, à la tivi, plus longtemps que n’importe quoi d’autre. Il joue au hockey tous les jours dans la maison, et je dois toujours jouer avec lui, et il ne veut jamais faire le gardien de but : lui, il veut SCORER les buts. Et quand nous sommes allés en wéyage à Montréal, il n’a pas voulu quitter son chandail des Canadiens pendant deux jours. Pis, je le vois faire, il imite les positions de joueurs de hockey en se regardant dans le miroir de l’entrée avec son bâton dans les mains. Ah et pis, quand il voit quelqu’un avec le chandail des Canadiens, il ne manque pas de le lui faire remarquer, avec un brin d’admiration dans la pupille et un sourire de connivence du genre « on-prend-pour-la-même-équipe-man ». Et, évidemment, inévitablement, il crie : « Et le buuuuuuuut!!! » quand il réussit à déjouer le gardien, en l’occurrence moi à genoux avec le tit bâton dans les mains. Mon gars, il aime le hockey.

Tantôt, j’ai amené mon gars voir son père jouer au hockey. On n’y va jamais, normalement, parce que les parties sont toujours tard. Mais là, on a bravé la tempête pour aller à l’aréna après le souper. Et Olivier avait mis son chandail des Canadiens pour aller voir son père jouer avec les Black Hawks, mais il n’y voyait aucune incohérence. Et il les regardait, les joueurs, sur la glace, quand on est arrivés. Il ne lâchait pas des yeux non plus la zamboni juste avant que les Black Hawks et Hossa, son père, le numéro 81, fassent leur entrée sur la patinoire. Et quand les gars sont arrivés sur la glace pour le warm up – qui n’a duré que 19 secondes, déception… moi, regarder des gars en équipement de hockey faire des similis grand-écarts sur le bord d’la bande, j’ai toujours trouvé c’tait le meilleur boute! – mon fils a vécu une grande émotion. Il a vu son père monter sur la glace et c’était comme si c’était le vrai Hossa, son père. Lui, dans sa tête, il était au Centre Bell même si on n’était pas loin d’être seuls dans les estrades! Il a solennellement crié, de sa voix de soprano : « Vas-y, papa! », alors que la partie n’était même pas commencée, avec les joues rougies par les petites larmes piquantes qui lui sont montées aux yeux. Mon gars était FIER. Fier et ému. Et il a regardé toute la partie, assis sur moi, à écouter mes explications. 

Mon gars, il aime le hockey… surtout quand c’est son père qui joue.