lundi 23 septembre 2013

Le temps va


Il y a quatre ans, ma fille, ma vie se remplissait.

Il y a quatre ans, mon enfant, mon ventre se vidait.

Il y a quatre ans, au gré des premières tempêtes d’un hiver déchaîné, mon cœur faisait son tout premier tête-à-tête avec l’inquiétude, la vraie. Celle qui fait peur par son intensité. Celle qui nous suit désormais comme une sœur siamoise parasite, celle que j’avais espérée plus subtile, silencieuse, discrète. Celle qui nous permettrait de tout casser, de tout bousculer, de tout déplacer, de tout réparer pour le bonheur d’un autre petit cœur… qui bat, qui vit, qui ressent, qui peine, qui joie, qui rit, qui pleure … qui aime. Un autre petit cœur qui, il y a quatre ans, battait tout à côté du mien. ÉTAIT, en quelque sorte, le mien. Puisqu’il était en moi, n’était-il pas, justement, un peu moi? Et toi, qui as été un peu moi, tu deviens, à quatre ans, de plus en plus toi, de moins en moins moi. Tu t’entoitises, tu te démoimises, tu te démagnétises, tu te désinfantilises, tu crises d’INdépendance pendant que tu vis LA dépendance. Tu sais déjà écrire ton nom et demain vient, c’est jamais long.
Il y a six ans, ma fille, ma vie se remplissait.
Il y a six ans, mon enfant, mon ventre se vidait.
Il y a six ans, je ne savais pas qu’un jour, j’aimerais autant. Je ne pensais qu’aux nuits blanches, aux couches lavables, à l’accouchement, à l’allaitement.  Et maintenant. Maintenant. Je sais tellement, maintenant, que tout va vite, que rien n’attend. Que les jours s’envolent et que les souvenirs restent. Et j’aimerais tant arrêter le temps. Et j’aimerais tant que tu restes une enfant. À cause de la lumière. Celle qui brille dans tes yeux quand tu ris. Celle qui bouge avec toi quand tu danses. Celle qui m’éblouit trop tôt, le matin, dans mon lit, quand tu t’y glisses avec tes petits pieds glacés. À cause de la chanson qui dit qu’un jour, tu grandiras et puis que tu t’en iras. À cause de la curiosité, qui est si difficile à garder. À cause de tes joues. À cause des histoires, collées ensemble sur le divan. À cause de tes sourires pleins de dents. Et pourtant. Le temps va, tout s’en va. Et toi, avec lui, tu t’embellis. Et peu à peu, je comprends. Tranquillement. Que la lumière changera, mais qu’elle restera. Que tu grandiras, comme mes sentiments. Qu’un jour je dirai encore et tu le diras peut-être avec moi : "Je ne savais pas qu’un jour, j’aimerais autant. "

vendredi 20 septembre 2013

Une fille, ça pue pas

 Ma fille. Tu es entrée à la maternelle. L'université approche. Voici venu le temps de te confier certaines grandes vérités féminines qu'il vaut mieux que tu saches plus tôt que trop tard.


1. Des pieds de fille, c'est pas supposé puer. Mets du Bounce ou du push-push dans tes souliers. La poudre pour bébé, ça laisse des traces à terre. Ça va paraître que tu tentes de camoufler tes odeurs.

2. Plusieurs générations l'ont tenté avant toi : tu ne peux pas pisser d'boute. J'te jure.

3. Une fille est physiquement capable de changer un pneu, de cogner du marteau, de visser, de percer et de scier. C'est même sexy, une fille qui sait changer un pneu, cogner du marteau, visser, percer et scier. (Sauf si elle ne porte qu'une brassière et des bobettes beiges qui montent en haut du nombril.)

4. Si, lors d'une soirée avec ton nouveau chum et ses amis, une fille semble éviter ton regard, parle trop fort et jamais à toi, rit trop haut et même des blagues les plus plates de ton chum, a l'air de se penser dans une annonce de shampooing tellement elle secoue ses cheveux et a une voix trop aigüe, elle n'est pas juste énervante, elle est aussi probablement amoureuse de ton chum et elle tente de faire son territoire. Va le frencher dans sa face.

5. Ta passion pour les licornes, ça fait un peu peur. Pis celle pour les dauphins aussi.

6. Un mariage sur deux se termine par un divorce. Faqueeeeeuh... "Ils vécurent heureux et eurent beaucoup d'enfants", c'est juste pour te permettre de mieux comprendre c'est quoi une situation finale dans le schéma narratif au secondaire.

7. Inévitablement, un jour, une "amie" reprendra tes paroles, y ajoutera un ton, t'inventera des intentions, façonnera la réalité dans le simple but de crinquer une autre "amie" contre toi et, par le fait même, de se créer une alliée. C'est une bitche. Si elle continue de te parler ensuite comme si elle n'avait jamais rien fait de croche, ça peut te surprendre. Tu peux alors la ranger dans la catégorie "hypocrite". Tiens-toi loin.

8. Un garçon peut devenir ton ami. Surtout s'il aime les garçons lui aussi. Sinon, sache qu'il est fort probable que ton ami garçon, même s'il dit n'être que ton ami, ne soit pas totalement indifférent à tes charmes.

9. Quand une fille te dit qu'elle te pardonne, en fait, ce qu'elle veut dire, c'est qu'elle remet à plus tard le moment où elle va pouvoir se servir de ta bévue.

10. Si tu as une relation sexuelle complète sans condom avec un garçon, la loi de la gravité veut que tout ce qui est entré doive ensuite ressortir.

11. La première fois que tu rencontreras ta belle-mère, ne bois pas cinq vodka-jus d'orange avant pour te calmer, ne danse pas sur sa table de salon, ne détache pas ta brassière pour te mettre à l'aise, n'évoque pas les performances sexuelles de son fils, évite de dire à ton Martini que tu l'aimes parce qu'il a toujours été là pour toi et abstiens-toi de lui confier que la sauce à spagh de ta mère est bien meilleure que la sienne. Souviens-toi, il se peut que tu la côtoies longtemps.

12. Une fille peut roter. C'est cute. Surtout si elle rit après.

13. La jalousie, ça tue. Si tu ne peux pas faire confiance à ton chum, laisse-le. Au pire, s'il te trompe, tu auras mal, mais tu t'en sortiras.

14. Tu es belle. Même sans maquillage. Surtout sans maquillage.

15. Hurler dans une discussion avec des inconnus que tu aimerais être un homme pour expérimenter une autre perception de la fellation, c'est un peu déplacé.

16. Sur un vibrateur, les lumières, ça sert à rien.

17. Aimer, c'est parfois douloureux, mais jamais autant qu'haïr. Et le proverbe prétend quelque chose du genre : "Aime-toi et le ciel t'aimera." Il dit vrai. T'aimer t'empêchera de t'haïr.
















lundi 16 septembre 2013

Phallusophie

Le phallus, symbole de virilité, de fertilité, de force, c'est bien connu, prend une importance capitale dans la vie de chaque homme. (Et de quelques femmes, avouons-le.) Je suis une fille, mais détrompez-vous, je suis capable de comprendre la quasi obsession de l'homme pour son pénis : un de mes plaisirs, lorsque j'allaitais mes enfants, était de faire des concours de qui pisse du lait le plus loin. Si j'avais un pénis, chose que j'ai secrètement souvent souhaitée - comme on souhaite un nouveau livre ou un nouvel ordinateur, en se disant que ce serait respectivement soit excessivement divertissant, soit très pratique - j'expérimenterais le jet. Surtout dans la neige. J'ai toujours rêvé de pisser mon nom.

Bon. J'avoue. Le sujet est spécial. Surtout pour un lundi soir.

C'est que j'ai découvert, lors d'une discussion philosophique profonde avec quelques collègues, vendredi passé, qu'il y a quelque chose de pire que de ne pas avoir de pénis : avoir un garçon à qui il faut apprendre à gérer son pénis! Non seulement je ne connaîtrai jamais le plaisir de me soulager dans un urinoir, mais en plus, je devrai enseigner à mon fils à le faire avec tous les désagréments que cet apprentissage comprend et ce, sans jamais en tirer égoïstement profit.

Je t'explique, lecteur médusé.

Les premiers pipis, dans le pot ou la toilette, se soldèrent inévitablement par une flaque sur la céramique. "C'est pas supposé être simple, faire pipi, quand on est un gars?!" pensai-je. Ensuite, vint le premier pipi debout, lors d'une visite chez le docteur, qui fut l'occasion pour mon fils de découvrir la toilette publique dont la lunette ne forme pas un rond complet. Mon fils s'étant radicalement opposé à l'idée de poser ses fesses dans un trou de lunette de toilette, j'eus alors la brillante idée de l'installer debout sur ladite lunette - il est d'ailleurs encore trop petit, à trois ans et un tiers, pour que ses hanches atteignent le haut du bol - dans le but très avoué de lui faire découvrir les joies d'être un garçon. N'ayant jamais été un garçon moi-même et étant plutôt débutante dans ce genre d'art masculin, je le convainquis alors, dans toute ma naïveté, de pisser. Sans préambule, sans plus de préliminaires. Le pénis libre comme un ballon à l'hélium qu'on échappe dans les grands vents de novembre. Mon fils, le sourire creusant ses fossettes, une lueur espiègle dans l'œil, mon fils, disais-je, tapissa alors joyeusement d'urine les murs, la toilette - cuve, réservoir, lunette, bol - jusqu'au lavabo se situant à pratiquement un mètre de lui. "C'est pas supposé être simple, faire pipi, quand on est un gars?!" rugis-je. Enfin, vint le moment de la pisse extérieure. Riche de mon expérience précédente, j'entraînai mon fils à tenir son pénis pour viser l'endroit arrosable. Mon garçon, enchanté d'expérimenter une technique nouvelle, fit alors jaillir ce qui ressembla plus au jet d'une douche qu'à celui, droit et précis, que je m'étais imaginé. Ses pantalons ne s'en portaient pas mieux que s'il avait été une fille. "C'est pas supposé être simple, faire pipi, quand on est un gars?!" fulminai-je.

Par ailleurs, que penser de cette obsession masculine pour cet encombrant organe de reproduction? Dès que le bébé mâle est en âge d'attraper un jouet, le pénis devient son principal attrait. (J'ai d'ailleurs toujours eu l'impression qu'il fallait traiter ce membre avec délicatesse. Je ne me suis jamais autant fourvoyée!) L'enfant développe alors une relation indéfinissable avec son engin, empreinte de curiosité obsessionnelle et de fierté, qu'il faut savoir calmer dans le but évident d'éviter toute situation gênante en public. Je deviens alors le "surmoi" freudien de mon fils et lui répète, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, de lâcher son ESTIE de pénis.

Et pis moi? Moi? J'en récolte quoi, moi, qui dois continuer de me salir les fesses sur les lunettes de toilettes?

Rien.

Sauf peut-être le fait, comme le signifiait une collègue, de n'avoir qu'un seul pénis à surveiller puisque c'est un garçon que j'ai...  Mmmouin.

vendredi 13 septembre 2013

Québec l'angoissée

Québec, ma grande originale, ma douce excentrique, ma belle extravagante. Tu veux jamais rien faire comme tout le monde. Tu parles français, tu étudies au collégial, tu mets ton linge su'a corde, tu invectives en joual, tu manges d'la poutine, tu injuries à coups d'hosties, tu portes des mitaines, mais t'as câlissement frette quand même... Rien qu'à voir, Québec, on voit ben : tu sors du lot, on te scrute, tu te démarques, tu te distingues.

Québec, ma belliqueuse, ma guerrière, ma batailleuse, ma fière. La marée n'a pas réussi à t'emporter. Tes pieds demeurent bien enracinés et toi, solide, droite, gonflée de fierté. Ton histoire en guise de bouclier, ta langue en guise d'épée. Québec, je t'ai toujours admirée, adulée, encensée. J'ai défendu ta singularité, ton unicité. Et quand tu as voulu partir, j'ai voulu quitter avec toi. Tu voulais voler de tes propres ailes, j'ai voulu être libre avec toi. Tu étais fougueuse, j'étais amoureuse.

Québec, ma vieille, tu as grandi. Tes rêves d'indépendance se sont un peu taris. On t'a malmenée, déchirée, meurtrie. On t'a blessée, tu as du mal à cicatriser. Tu as perdu de ta ferveur, de ta vigueur. Tu es fatiguée, Québec. Tu t'es perdue un peu, dans la foulée. Et tu ne sais plus qui tu es. Tes convictions se sont effondrées. Tu crises d'adolescence, Québec ; tu cherches ton identité.

Québec, ma bouleversée. Ta peur est légitime, ta confiance est ébranlée. Et tu es bourrée de bonne volonté. Mais ces temps-ci, Québec, tu es tiraillée. Tu oscilles, tu tergiverses, tu chancèles, tu titubes... As-tu trop bu, Québec? Et moi, je ne sais plus toujours sur quel pied danser. Peut-être s'est-on trop éloignées? C'est pourtant toi qui m'as enseigné à accepter la diversité, à grandir de la différence, à l'accueillir, à l'adopter. Et maintenant, te voilà angoissée. Et il me semble que tes armes sont disproportionnées. Ne sont-ce pas des canons, que tu fais péter, alors qu'il n'y a qu'une mouche à tuer?

Québec, mon inquiète, mon agitée, ma tourmentée... calme-toé, va boire un thé.

samedi 7 septembre 2013

Guide d'intégration du nouveau collègue

Dans les coulisses de la rentrée scolaire règne un grabuge dissipé de profs qui n'ont pas encore leur horaire, qui se retrouvent avec trois locaux sur deux étages, qui n'ont pas leurs listes d'élèves, dont le local n'est pas prêt, qui cherchent les dictionnaires qui sont disparus, qui doivent placer dans des petites cases 580 minutes en dehors des heures de cours, qui grapillent quelques renseignements sur leurs nouveaux élèves, qui planifient, organisent, chialent, rient, courent, stressent, placottent, paniquent... Bref, après deux mois de calme, nos corridors bourdonnent d'abeilles ayant butiné un vieux Red Bull au soleil.

Dans les coulisses de la rentrée, il y a aussi le précaire, membre d'une communauté considérablement abondante, qui aboutit, lui, la plupart du temps, dans une nouvelle ruche. Le précaire a su, quelques jours à peine avant les premières pédagos, où il travaillerait pour l'année. Le précaire doit bien souvent repartir de zéro, avec une nouvelle planif dans une école où il connait peu de gens et dans laquelle il a pratiquement tout à apprendre : le fonctionnement du photocopieur, les règlements, la prise d'absences et de retards, les sorties de classe, les appels aux parents... Certains s'en sortent mieux que d'autres. Cependant, j'ai remarqué qu'il y avait quelques règles à ne pas enfreindre pour favoriser son adaptation. Cette liste n'est pas exhaustive, évidemment. Je ne suis permanente que depuis peu... Mais j'ai le sens de l'observation et surtout, beaucoup de mémoire, vous verrez.

1- Ne cachez pas les clés du précaire, ce n'est pas un bon tour. Le précaire est habituellement pressé et totalement perdu.

2- Attendez au moins deux semaines avant de mettre des confettis dans sa boite de mouchoirs et dans ses tiroirs. Il ne vous connait pas encore. Il pourrait vous juger.

3- Ne demandez pas au précaire s'il sait quel examen il utilisera en juin prochain, quelle pondération il accordera à son examen de Noël ni même s'il a une activité spéciale pour l'Halloween. Parlez-lui plutôt de son premier cours, il sera plus loquace.

4- Dans la salle des profs, ne criez pas, après qu'il vous l'ait confié, que le précaire porte des suppositoires parce qu'il perd la voix la première semaine. Ce n'est pas drôle.

5- Attendez au moins trois semaines avant de parler au précaire de votre passion pour les licornes.

6- Ne saoulez pas le précaire lors du premier "sôcial" de l'école. Il a une image à bâtir.

7- N'entrez pas dans le premier cours du précaire en chantant avec des lunettes Imax sur le nez. Il a une crédibilité à bâtir.

8- Ne monologuez pas. Si le précaire ne vous regarde pas, écrit, lit ou court pendant que vous parlez, c'est qu'il ne vous trouve pas intéressant et qu'il a du travail à faire. Il a des cours à bâtir.

9- Quand le précaire vous demande où est l'ascenseur, ne l'envoyez pas au secrétariat. Ne mangez pas son lunch. Ne cachez pas ses craies. N'effacez pas sa réservation de projecteur. Ne volez pas son cahier de planif ni son agenda. Ce n'est pas drôle.

10- Ne volez pas le IPhone du précaire. C'est sa vie. Il est jeune, lui. Il en a encore une, vie.

11- Ne parlez pas au précaire avec une petite voix, un ton mielleux, les sourcils levés et un sourire exagéré. Malgré ce que vous en pensez, il n'est pas un enfant et ne croit plus aux pouliches.

12- Ne faites pas une photocopie de vos fesses devant le précaire.

13- Attendez quelques mois avant de lui avouer votre histoire d'amour avec votre rétroprojecteur. Le précaire a généralement l'esprit ouvert, mais on ne sait jamais.

14- Ne dansez pas sur son bureau pendant qu'il corrige. Portez un chandail et des souliers en tout temps. Ne criez pas son nom dans le télévox. Ne crevez pas ses pneus.

15- Ne subtilisez pas une copie d'élèves lors de son premier examen. Le précaire paniquerait.

16- Traitez le précaire comme une personne à part entière. Après tout, il le sera lui aussi, un jour.

Riez, amis précaires. Je vous aime, moi aussi.

jeudi 5 septembre 2013

We don't need no education...

Je vais les aimer. Encore cette année. Pas comme j'aime mes enfants, mais plutôt comme j'aimerais que mes enfants soient aimés. Je vais les aimer malgré le dur, malgré l'armure. Parce qu'en eux, derrière le mur, il y a du beau, toujours. Je vais les aimer même s'ils n'en ont pas envie. Parce qu'ils croient parfois que c'est en détestant qu'ils se feront remarquer. Parce qu'ils croient que c'est en ayant l'air détaché qu'ils se feront regarder. Parce qu'il faut voir plus loin que l'image qu'ils veulent projeter. Je vais les aimer.

Malgré eux, malgré les mots qui vont dépasser la pensée, malgré la frustration qui va parfois monter, malgré les sorties de classe, malgré les verbes supplémentaires à conjuguer, malgré le placotage mal placé, malgré les yeux au ciel, le ton levé, la face de Carême, les moues écoeurées. Malgré tout. Je vais me forcer.

Ils vont quand même se décourager, soupirer, peut-être même doubler. Ils vont continuer, je sais. Et je serai encore exaspérée, essoufflée, épuisée. J'aurai même parfois envie de les détester. Mais je vais continuer. Et je vais les aimer. Comme on aime un enfant malgré tout ce qu'il nous prend. Parce qu'eux aussi sont encore des enfants, pas encore si grands. Ils s'arment comme ils peuvent, ils se carapacérisent, ils se durcifient, un peu trop peut-être. Mais c'est le mou qui est important. Et je sais, c'est pratiquement perdu d'avance, les classes de mots et les participes passés, ce sera toujours à recommencer, chaque année. Mais à défaut d'écrire "es" à la fin des pommes qu'ils auront mangées, quelqu'un de plus les aura aimés. Malgré le dur. Malgré l'armure. Malgré le mur.

mercredi 4 septembre 2013

Un gars, c't'un gars.

Je suis une fille. J'aurais toujours voulu être un garçon, surtout pour pisser joyeusement debout dans les buissons des plaines le soir de la Saint-Jean. Mais c'est plutôt difficile puisque je suis une fille. Je ne porte pas de talons hauts, j'ai mis du Cutex une seule fois, il y a deux semaines, et je le laisse s'écailler, insouciante, en le grattant puérilement un peu tous les jours et j'arbore, depuis quelques années à peine, la boucle d'oreille. Donc je ne suis pas une pure et dure. Mais tout de même, je suis une fille.

Jeune, parce que je le suis de moins en moins, je jouais à des jeux de filles. J'exécrais d'ailleurs tout jeu de ballon parce que je finissais inévitablement par en manger un dans l'œil. D'ailleurs, j'ai toujours pensé que cet œil, à force d'ingérer trop de ballons, avait perdu toute faculté d'évaluer correctement la distance ballon-moi. Ou encore il n'a jamais eu cette faculté, c'est une autre possibilité. Et je suis mal faite, il y a mes pieds, aussi, qui sont trop petits et qui ne me tiennent en équilibre ni sur des skis ni sur des patins. Je n'ai non plus jamais eu aucun intérêt pour quelque arme que ce soit : épée, fusil, arc, flèche, sling-shot, couteau, fourchette... ah! sauf pour les guns à eau, ça c'est vraiment drôle dans les réunions de profs à l'école.

Mes parents ont essayé, un jour, de me convertir aux Tonka et mon frère aux Barbies. Bon... Faut dire qu'ils lui avaient acheté une Barbie esquimaude, ça aidait pas. Pas que je n'aime pas les Esquimaux, je n'en connais aucun. C'est juste qu'elle faisait bizarre dans la décapotable de Ken avec son Anorak poilu. Tsé. Pis le Tonka, mon frère l'aimait ben. Faque on a consensuellement échangé nos cadeaux mutuels. Pour une fois qu'il y avait consensus entre lui et moi...

Bref. Je suis une fille.

Et mon gars, lui, est un gars.

Et je ne comprends pas toujours ses jeux. Le hockey, je comprends. Les blocs, les outils, je vois l'intérêt. Mais par-dessus tout, mon fils, ce qu'il aime, ce sont les véhicules. Avec des roues, un moteur : mon gars, c'est un gars d'char. Et ça, je comprends moins. L'autre fois, il a rencontré le chum de mon amie qui est mécanicien. Osmose. Jubilation. Et exagérément de lumière dans ses yeux. L'hiver, tous les jours de sa petite vie d'enfant qui ne savait même pas parler, mon gars, il se garochait dans la fenêtre pour voir la charrue passer et vivait un deuil démesuré quand elle quittait notre rue. Mon gars, il marchait à peine qu'il reconnaissait déjà une douzaine de marques de voitures. Que de données inutiles dans sa petite tête! Mon gars, il utilise ses camions pour ranger son bordel. Il se prend pour une pelle mécanique quand il mange. Il se penche comme sur une moto quand il roule sur son vélo. Il fait des sons de moteur quand il court. Il couche avec vingt-huit petites autos stationnées dans son lit. Mon gars, c'est un gars d'char.

Mais pire encore, vous allez le constater, ses champs d'intérêts s'éloignent de plus en plus considérablement des miens : mon gars, son obsession, ce sont les CAMIONS DE POUBELLES. Il porte un amour incompréhensible à tout ce qui est en lien, de près ou de loin, avec les camions de VIDANGES. Là, il me perd. Déjà que les véhicules en général n'ont pour moi qu'une seule utilité, me déplacer, je peinais à comprendre sa relation avec les véhicules lourds. Mais là, expliquez-moi kekun!! Pourquoi les ordures?! Le jeudi, il me répète ad nauseam que c'est la journée des poubelles. Et le mercredi, c'est à la garderie que c'est la journée des poubelles. Et il est bien intrigué par les voisins qui sortent leurs bacs de poubelles un soir à l'avance. Et il a ce jouet, dont la benne s'arrache trop souvent mais qu'il n'est pas capable de réparer seul, dont il ne se sépare jamais. Et plein de morceaux de carton qu'il déchire en guise d'ordures et qu'il ramasse inlassablement avec son camion. Et Youtube, sur lequel il veut férocement écouter des vidéos de camions de poubelles... (D'ailleurs, quelqu'un peut m'expliquer ce genre de vidéo, qu'on retrouve en quantité infinie, filmé par un adulte, mettant en scène un ADULTE jouant avec des jouets d'enfants? Est-ce qu'il y a réellement des parents qui ont tant de temps à perdre?! Video bizzzzz )

Bref, j'essaie. Fort. Mais sa passion sauvage pour les ordures me laisse de glace. Même que ça me fait sentir un peu coupable de m'y intéresser si peu. Et je me convaincs qu'il n'est qu'un petit garçon et qu'il ne vient toujours ben pas de m'apprendre, l'œil convaincu, qu'il veut devenir éboueur. Que c'est son rêve. Que mes REEE, il n'en a pas besoin finalement. Qu'il a envie, lui, de vivre dans les odeurs nauséabondes le reste de ses jours. Que c'est sa vie après tout et qu'il a bien le droit d'en faire ce qu'il veut. Et qu'il n'y a pas de sots métiers. Que je suis pleine de préjugés et que je ne l'ai jamais aimé tel qu'il est. Et je dramatise un peu. Pis après je relativise. Je me dis que dans le fond, s'il veut devenir éboueur, il a ben l'droit. Et je me sens un peu coupable de le juger, de tenter de détruire son rêve sous prétexte que sa passion n'est pas la mienne. Et qu'il n'y a pas de sots métiers. Parce que sur son mur, avant même qu'il naisse, j'avais peint une citation de St-Exupéry. Paroles qui valent plus à mes yeux qu'une incompréhension ou que nos différences fondamentales. Et je finis par convaincre mon monologue intérieur de fermer sa gueule parce que ces mots, je ne veux pas qu'ils ne restent que des mots : "Fais de ta vie un rêve et de tes rêves, une réalité."

La fille, elle va devoir comprendre que son gars, c't'un gars.