lundi 7 octobre 2013

Convaincre

Convaincre. Voilà quel verbe résumerait ma vie présentement. Pourtant, je ne suis pas avocate, parlez-en à mon compte de banque. Je ne suis pas négociatrice pour la police non plus. Je ne vends ni balayeuses, ni maquillage, ni char, ni voyages, ni corps, ni âme. Néanmoins, je convaincs.

Chaque matin, c'est nécessaire, je convaincs d'abord mon corps de se lever et mes yeux de s'ouvrir. J'ai bien essayé de les laisser fermés, mais je suis moins efficace dans les escaliers. Je convaincs ensuite, à coups de collants sur un pitoyable dessin de vêtements collé maladroitement au mur, mon fils de s'habiller. Je le convaincs aussi que bien manger est important, parce que si on ne mange pas, on meurt, c'est prouvé. Je convaincs ma fille d'attacher ses souliers plutôt que de regarder ses émissions beaucoup plus divertissantes que ses lacets. Je me convaincs qu'un seul café est suffisant. Je convaincs mes enfants que leurs dents vont carier, noircir, puer, pourrir, trouer, casser et tomber s'ils ne les brossent pas. Et je me convaincs que je n'exagère pas.

Arrivée au travail, je me convaincs, le temps d'une conversation sur quelque insignifiance, que je ne suis pas dans le jus. Et je me crois. Et en classe, on pourrait croire que j'enseigne. Quand j'inscris, au tableau, ces phrases. Quand j'explique la structure d'un groupe de mots. Quand je lis un texte. Mais détrompez-vous. Je convaincs. Encore. Il faut d'abord convaincre mes élèves, qui ont bien d'autres chats à fouetter, de m'écouter. Ensuite, les convaincre de travailler, c'est une autre paire de manches. Certains sont déjà convaincus, mon travail est alors plus facile. D'autres, par contre, résistent plus, je dois alors convaincre un peu plus fort. Alors, sans cesse, je convaincs. Je convaincs mes élèves de l'importance de la précision des mots quand on tente de faire passer un message. Je les convaincs de leur capacité, insoupçonnée parfois, à comprendre la langue et sa structure. Je les convaincs, avec moult lectures et intonations, du plaisir qu'elle peut nous apporter. Je les convaincs, à grands coups de métaphores avec mon pitoyable apprentissage, si long et pénible, de la conduite automobile manuelle, que les efforts porteront fruit. Que mieux communiquer les rendra plus heureux. Que les mots permettent de séduire, de faire rire, de toucher, de frapper, de se défendre, de se vendre, d'argumenter, de convaincre. Je les convaincs aussi de prendre leur temps. Dans ce monde qui exige l'efficacité, la rapidité, je dois les convaincre de passer plusieurs minutes, voire parfois quelques heures, à se poser des questions sur le sujet d'un verbe, sur un complément, une virgule, un adjectif. Je dois les convaincre qu'une simple lettre peut faire la différence. Que chacun des mots compte. Je les convaincs de se questionner. De s'appliquer. De persévérer. De se concentrer. De réviser. De noter. De se forcer. De ne pas parler avec son voisin. Encore moins avec l'élève à l'autre bout de la classe. De ne pas égrainer son efface pour ensuite en faire pleuvoir les morceaux. De cesser de faire de l'origami. D'utiliser d'autres adverbes que "crissement" et d'autres verbes que "colisser", même si je les aime aussi, parfois, ces mots. De cesser de hurler qu'ils sont poches, parce que c'est l'opposé de ce dont je tente de les convaincre. Je convaincs du mieux que je peux. Avec des mots que j'espère convaincants, avec des yeux convaincus. Je les convaincs de ce dont je suis convaincue.

Mais parfois, je suis fatiguée de convaincre. Parce que ça en prend, de la conviction, pour convaincre. Et que cette conviction, elle ne se retrouve pas en vrac chez Walmarde. Et qu'il me semble que ma vie serait plus simple s'il n'y avait pas autant de bâtons dans mes roues. Et je me demande ce qui les a tant convaincus du contraire pour que j'aie tant de conviction à dépenser pour les convaincre. Et avant de retourner convaincre mes enfants que s'ils ne se lavent pas, ils sentiront le poisson, perdront tous leurs amis, seront malheureux et gras, devront inévitablement s'isoler, dépendront de l'argent du gouvernement pour survivre et finiront bouffés par des coquerelles, je me convaincs qu'il me reste assez de conviction pour en donner un peu, au moins, à ceux qui en manquent... Et les bâtons dans mes roues se transforment en défis. Et je me convaincs que je suis capable de les relever. Et je me convaincs d'aller me coucher. Et je convaincs mon corps de se lever... Et...

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