mardi 3 décembre 2013

Contrariété mollissante

On a tous, tu en conviendras, lecteur belligérant, un petit côté rebelle plus ou moins intense. D'ailleurs, dans nos phases intenses, on dit de nous que nous sommes en crise : crise du Terrible Two, crise d'adolescence... Crises caractérisées par l'opposition, on le sait. Personne n'est original, nous y passons tous. Et pis on vieillit : on se carte de crédise, on se lave-vaissellise, on se multiplie pis, pas le choix, on se responsabilise, on se pantouflise un peu, on s'enlise parfois, on se platifie inévitablement.  Bref, on se moumounifie parce qu'on s'assagit.

Néanmoins, avoue, lecteur honnête, que tu recherches toi aussi, parfois, malgré ta matantisation (ou ta mononclisation, selon...), le sentiment de pouvoir que te procure une bonne opposition gratuite. Quand même, pars pas en peur, lecteur offusqué, je sais bien que tu n'es pas du genre à devenir acteur porno alors que tu travailles dans une école juste pour contredire tes patrons! Je le sais, aussi, que tu ne fais rien de dangereux comme passer sur un stop alors que ce n'est pas ton tour ou empêcher un sympathique conducteur d'entrer sur l'autoroute sous prétexte que c'est lui qui a un céder à faire. Nenon. Je parle d'opposition éthique, légale, mais tout de même satisfaisante. Oui oui, souviens-toi, après avoir ouvert volontairement par le coin gauche le jambon tranché alors que le paquet te sommait clairement de l'ouvrir ici, à droite, souviens-toi de ton sentiment de toute-puissance! Toi, tu ne t'en laisses pas imposer par une compagnie de jambon, oh non! Et que dire de la fois, lecteur insoumis, où tu n'as pas suivi la recette de Ricardo et que tu as mis de la sauce Worcestershire au lieu du vinaigre de vin dans le tartare, à quel point tu te sentais compétent. Tu vis dangereusement, lecteur prétentieux! Et avoue que certains matins, tu te lèves volontairement du pied gauche, juste pour provoquer un peu le destin, pour lui prouver que t'es capable d'avoir une bonne journée quand même. Que tu piles sur les lignes du trottoir pour braver l'interdit. Que tu te garoches pour choisir le chiffre 13 pour faire le contraire de tout le monde. Avoue, lecteur séditieux, qu'il t'arrive de dire noir quand l'autre dit blanc juste pour le plaisir de faire du gris.

Ne t'en fais pas. Ce sont des relents acceptables de ton adolescence, alors que tu rasais tes cheveux si tu es une fille ou te les faisais pousser si tu es un garçon. C'est une façon saine de t'affirmer en tant que personne à part entière, indépendante d'une compagnie de jambon, d'une recette de tartare ou d'un stupide destin.

Cependant, personnellement, je le vois bien : ma tendance à la contestation se ramollit sérieusement avec le temps. J'ai l'assagissement un peu trop vigoureux. Je plie de plus en plus facilement. J'ai la soumission de plus en plus aisée.

La première fois, c'était pendant la folie H1N1. J'ai beaucoup lu. Trop lu. Des études, des cas vécus de vaccins qui ont mal tourné, d'enfants à jamais hypothéqués, de parents convaincus de la corrélation entre l'incapacité de leur enfant à communiquer et le vaccin qu'il avait reçu. On tentait de me faire peur avec cette pandémie. On tentait de m'imposer un vaccin sans me renseigner sur les risques réels. Un peuple qui a peur, c'est un peuple soumis, crois-je. Et il était hors de question que je me soumette à cette peur. Je ne me ferais pas vacciner, un point c'est tout. Après tout, j'étais en santé. Par contre, j'étais aussi enceinte. Et c'est là que je me suis mise à fondre telle un Mr Freeze sur une table de péssio. Ma peur affrontait mes convictions. Imagine la scène, lecteur compréhensif. Sur le ring : ma peur d'un bord. Derrière, la population en entier qui l'encourage, bras levés, scandant des slogans ridicules. Et de l'autre, mes convictions. Rabougries, affaiblies, seules survivantes d'une crise d'adolescence de plus en plus loin. Ma peur a gagné. Je nous ai fait vacciner, mon fœtus et moi, gênée d'avoir fléchi.

Et puis aujourd'hui encore, je ne suis pas fière, j'ai encore capitulé, lecteur indulgent. J'aimais bien la légende, c'est vrai. J'aimais bien la magie autour de l'idée. Pourtant, j'exécrais particulièrement toute cette stratégie marketing, tout cet engouement dans le but évident d'inciter la population, encore et toujours, à acheter, à dépenser, à cracher de l'argent gagné à la sueur de son front pour une insipide bébelle. Il n'était pas question que je me soumette au poids du nombre, cette fois. J'allais résister. Je serais le chêne, pas le roseau. Mais ma fille a vu trainer, sur le comptoir, la minuscule tuque apposée par la SAQ sur la bouteille de vin que venait d'ouvrir son papa. Et ses yeux se sont allumés. Et la magie a opéré. Elle a immédiatement compris, de toute sa vivacité d'esprit. Et elle s'est empressée de courir partout en préparant son plan, le piège qu'elle mettrait en place pour l'attraper. Et j'ai cédé : j'en ai acheté un, malgré mon esprit de contradiction, un freakin lutin.

Voilà. Avant, j'avais des principes. Maintenant, j'ai des enfants.


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