dimanche 2 février 2014

Vieux yeux



Peut-être que j’me trompe, peut-être que chu dans l’champ. Peut-être qu’au fond, j’ai rien compris, que c’est désolant. Peut-être que c’que j’vois dans leurs mouvements, leur désenchantement, leur désintéressement, leur désillusionnement, c’est un leurre, que du vent. Peut-être. Peut-être pas non plus. Je sais pas. Je sais plus.

Parce que je suis de plus en plus loin, je vieillis. Et qu’avec ces yeux d’adultes, on n’y voit pas toujours clair. On regarde de loin, on préjuge, on peut pas croire, on sermonne, mais on se souvient, quand même, un tout p’tit peu. On se souvient que jadis, on adolesçait un peu, en moins pire c’est certain, mais jadis, nous adolesçâmes. Ah! Nous fûmes ben mieux, nombrilise-t-on, pas si tant pire, juste assez. Et on regarde de loin, dans notre temps, avec nos yeux de vieux qui ne voient plus tant qu’ça, du moins pas aussi loin que ça, parce qu’on vieillit, et on voit tout brouille et on s’engaillardit l’image du passé et on se désole pour eux parce qu’au fond, on voudrait mieux pour eux.


Pourtant, quand on regarde mieux avec nos yeux usés ces grands enfants, ces petits adultes derrière leur pupitre, on voit bien qu’ils ne veulent pas ce qu’on veut. Et parfois, tout ce qu’ils veulent, c’est le contraire. Le contraire de n’importe quoi. Alors on dit oui, juste pour voir, et ils disent non. Et on comprend, quand on regarde mieux avec nos yeux de fossiles qui voient bien juste ce qu’ils veulent bien voir. On voit bien, à moins que j’me trompe. On voit leur grand corps, leur corps de grand, dans lequel ils sont encore tout petits. On voit leur armure, de plus en plus solide, mais dans laquelle, c’est encore un peu fragile. Et on se convainc un tout p’tit peu que nous fûmes bien plus solides.

On le voit, quand on met nos lunettes de myopes périmés. On le voit qu’ils veulent être adultes, mais pas trop, ne sont plus des enfants, mais pas tant qu’ça, qu’ils sont presque grands, mais pas vraiment. Et on arrête de préjuger quelques minutes. Et là, parfois, on voit mieux. Et on les aime un peu. Parce que ces grands enfants qui contrarient, c’est quand on arrête de préjuger, c’est quand on les regarde mieux, même avec nos vieux yeux, qu’on aime ce qu’on voit, même si on est loin, même si on a un peu dérivé dans l’temps.
Et si on les observe, de notre regard ancestral, et qu’on les aime mieux, on voit parfois l’enfant, parfois le fragile qu’ils cachent tant, pourtant si attendrissant, qu’ils préfèrent dissimuler sans toutefois vouloir quitter. Et on se demande, désuets philosophes, pourquoi il faut vieillir pour avoir envie de rajeunir.


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