mardi 10 juin 2014

Fin de la parenthèse


Je les regarde, une dernière fois, tous assis, concentrés, affairés. Ils sont beaux, dans leur petit corps de grand. Je les regarde travailler, faire fonctionner leurs neurones, bûcher, se questionner, surligner. Les cerveaux bouillonnent dans ces petits adultes occupés. Ils ont grandi, en une année. Beaucoup.  C'était inévitable, je savais qu'ils le feraient, sans toutefois me douter de la hauteur qu'ils atteindraient. C'était inévitable, je savais que je les aimerais, sans toutefois me douter à quel point je m'y attacherais.


Je les regarde travailler. Et je reviens dans le passé. Un passé pas si loin, pas si passé.


Certains sont entrés dans ma classe avec, sous le bras, entre leur cahier de grammaire et les feuilles lignées, le désir de me déplaire, la volonté de m'offusquer. Ils sont comme ça, parfois, ils se cachent derrière l'agressivité, leur bouclier. On dirait pas, à les regarder lire et annoter, qu'ils ont tant voulu s'opposer. Je peux le dire sans me tromper : ils ont laissé tomber les armes. Leur lance traine par terre, vestige inutile d'une guerre que je n'ai pas menée. Ceux-là, je les garderais pour une autre année, à les trouver si beaux, désarmés. Ceux-là, j'espère qu'à la prochaine guerre, ils laisseront leur cote de maille dans leur casier.


D'autres, dès le départ, étaient plus discrets, plus secrets, plus renfermés. Et même si leurs mots se font plus rares, j'ai parfois vu leurs yeux, exaspérés ou intéressés. J'ai entendu leurs soupirs, excédés ou découragés. J'ai aussi vu leurs sourires m'encourager. Leurs fossettes se creuser. Et j'espère qu'ils savent qu'au-delà des silences, on peut les écouter. J'espère qu'ils savent que leur force tranquille fut appréciée. J'espère qu'ils ne douteront jamais de cette beauté qu'il y a, dans leur timidité. Ceux-là, je leur dirais de foncer, de prendre leur place, de continuer. Ceux-là, je sais que la prochaine guerre, ils vont la gagner.


Je les regarde, une dernière fois, crayonner, biffer, s'impatienter. Dans quelques jours, la parenthèse va se fermer. Eux et moi, on va se déshabituer. Je les regarderai toujours un peu, de loin, pour m'assurer qu'ils n'ont pas les ailes déplumées. Et, un sourire en coin, parce que je les aurai si souvent observés, je me souviendrai : ils étaient si petits, mes guerriers.

4 commentaires:

  1. Marie-Luce, c'est tellement bien écrit. Que c'est beau et probablement, si vrai. En effet, tu sembles tellement aimer ton métier. Je me rappelle quelle bonne ''prof'' tu es. Ils doivent s'attacher, eux-aussi. J'espère laisser une aussi belle trace aux élèves que j'aurai que celle que tu as su nous laisser. Bravo ! Tu réussis vraiment bien dans ta carrière.

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    1. Je n'en doute pas, Eugénie. Si tu aimes ton travail, mais surtout, ceux pour qui tu le fais, ils te le rendront bien. N'est-ce pas un peu ça, être prof : changer quelque chose dans la vie de quelqu'un? Merci de ton beau commentaire, il vaut de l'or!!!!

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  2. Merci Mme pour cette merveilleuse année passer a vos coter meme si parfois sa a été plus dure que d'autre . Merci de m'avoir toujours encourager Merci de me soutenir dans ce que je fait et de toujours savoir que je serai capable d'atteindre se que même moi je ne panses pas être capable de faire Merci du fond du cœur merci. Vous avez réussi a me faire monter les larme au yeux et quand je l'ai lu a ma sœur elle s'est mise a pleurer même si elle ne vous connais pas le moins du monde.

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    1. Ooooooooh!!!!!! Mais quelle belle surprise, ce beau commentaire, Sophie!!!!! Merci à toi, de ne pas avoir laissé ta peur d'échouer t'empêcher d'écrire de si belles phrases! Merci d'avoir mis autant d'énergie à t'améliorer. Merci de m'avoir fait confiance. Merci d'avoir tant grandi!!!!!! Continue ta route et reviens me voir de temps en temps!

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