lundi 1 septembre 2014

L'amour lent

J'ai toujours eu l'amour lent. Je tombe amoureuse avec beaucoup de retenue. Probablement parce que j'ai jamais aimé tomber, ça fait toujours un peu mal. J'ai toujours eu l'amour qui prend son temps. Il faut être patient, le regarder grandir, parfois fleurir, mûrir, mais trop souvent flétrir, s'évanouir, mourir. J'ai toujours eu l'amour sélectif. Il réfléchit beaucoup. Trop. Beaucoup trop. J'émotionne fort, c'est vrai, mais encore faut-il que j'émotionne. Et j'ai toujours eu le feu de paille détrempé.


Pis là, lecteur qui s'attend à une histoire de princesse, tu vas être déçu. Parce qu'il est rare que mes mots soient aussi graves. Qu'ils viennent d'aussi loin.  Ne me juge pas, lecteur compréhensif. Je ne t'ai pas jugé, moi, l'autre jour, quand je t'ai pogné en train d'écouter du Lara Fabian. Ne juge pas mes mots, je t'avertis, ils sont gros.


J'avais accepté que mon char se promène sur le break à bras.


J'avais accepté que la foudre s'abstienne de m'assommer.


Et j'avais accepté cette flamme qui vacille à chaque coup de vent.


Par contre, j'ai moins bien accepté que l'amour prenne son temps même avec mes enfants.


J'avais cette peur, de ne pas aimer assez. Parce que j'ai l'amour lambineux, tu le sais. Et j'ai beaucoup écouté l'expérience parler. Elle m'a raconté qu'une mère aime intensément dès les premiers moments. Elle m'a affirmé que c'était viscéral, instantané. Elle m'a convaincue de ne pas m'en faire. Je l'ai crue, que pouvais-je faire d'autre?


Et elle est née.


Et j'aurais tué, pour qu'elle vive. J'aurais assassiné pour la sauver. C'était nouveau comme pulsion. C'est d'ailleurs la seule fois où j'ai pu croire à l'instinct. À une programmation animale venue de la préhistoire, plus forte que mon éducation, que ma raison. C'était fort. C'était intense. Intensément fort.


Mais ce n'était pas de l'amour. Pas au sens où je le ressens.


Je n'aimais pas ce petit être qui venait de moi tout simplement, je le sais maintenant, parce que je ne le connaissais pas. J'aimais ses yeux aux iris volumineux, ses doigts pleins de phalanges et même son nombril protubérant. Mais elle? Qui était-elle?


Comment pouvais-je aimer ce qui m'était encore inconnu?


Peut-être parce que je ne la comprenais pas. Peut-être parce qu'elle pleurait allègrement. Peut-être parce que je ne suffisais pas à la rendre confortable, ou bien encore parce que je suffisais trop, je ne sais pas. Peut-être parce que la neige a beaucoup trop neigé cet hiver-là. Peut-être parce que je monologuais un peu trop souvent. Probablement parce que mon sommeil a décidé de foutre le camp. Et que finalement, les besoins de base n'ont pas beaucoup à nous apprendre sur un enfant... Fouille-moi pourquoi. Mais j'ai encore une fois eu l'amour lent.


J'aurais préféré m'y attendre. J'avais peur. De ne pas ressentir à la hauteur.


Et le temps a passé. Et la paille a séché. S'est allumée. S'est finalement embrasée, tu le sais. J'ai appris à la connaitre, à l'aimer. À partir du moment où j'ai pu la découvrir sur d'autres bases que son sommeil excessivement entrecoupé, ses pleurs démesurés et son appétit effréné, j'ai su l'aimer. Quand j'ai vu sa curiosité, son calme, son intelligence, sa joie, sa naïveté, là, pour de vrai, au sens où je le ressens, je l'ai aimée. Elle. Ce qu'elle était. Vraiment.


Et quand j'ai aimé, j'ai aimé. Tellement. Tant.


J'aurais préféré m'y attendre. Ça m'aurait empêché de m'inquiéter.


La deuxième fois, j'ai accepté que j'avais le sentiment différent de ce que l'expérience m'avait juré. J'ai accepté que ce serait fort, mais que je prendrais du temps à connaître, à aimer au sens où je le ressens, moi. Parce que je savais que ça viendrait quand il me montrerait qui il était. Lui. Pour de vrai. Parce que je savais que ce n'est pas le nombre d'heures qu'il dormirait qui ferait de lui un bon ou un mauvais bébé, qu'il faudrait que j'attende pour voir sa vraie personnalité. Parce que même si, comme sa sœur, il avait le pleur déterminé, je saurais lui trouver d'autres qualités. Parce que je savais désormais que je ne passerais pas ma vie à monologuer, j'ai eu la patience d'attendre d'aimer.


L'expérience tait souvent ces mots qui sont gros, graves. Parce que les autres sont plus beaux, légers. Maintenant, je le sais.


J'ai aussi compris que je n'ai pas vraiment l'amour lent, j'ai plutôt l'amour vrai. Il attend de savoir qui il a à aimer, pour aimer vraiment.

4 commentaires:

  1. Oui, parfaitement d'accord! Pour mes gars, ce fût la même chose! Je ne voulais aucun mal à mon nourrisson, n'importe qui pouvait s'en occuper pourvu que je sache qui il était comblé. L'amour est venu avec les soins, les sourires et les mini-toute-mini prouesse. Grandissant vers une administration sans borne... et sûrement pas saine! La fusion a duré 2 ans... et depuis l'amour a pris une proportion normale oû il y a un moi et un lui, un couple, une famille, un nous. Dans l'ordre et le désordre, on s'aime.

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    1. Ouf! Je ne suis pas seule ;) J'aime bien ta dernière phrase... cet équilibre qu'il faut trouver, dans l'ordre ou le désordre...

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  2. Quelle belle découverte que tes mots et leur rythme ce matin. Je suis à la fois émue et impressionnée. Merci!

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