mardi 8 avril 2014

Poisson rouge

La mémoire est une faculté qui oublie, c'est bien connu. D'ailleurs, par chance. Imagine, lecteur fort probablement déjà convaincu, qu'il soit possible de se rappeler, de façon intégrale, chaque douleur, chaque rejet, chaque humiliation, chaque colère, chaque deuil... La vie ne vaudrait plus la peine d'être vécue, lecteur dépressif, après la pluie n'apparaitrait jamais le beau temps. Un peu comme ce pénible printemps...


Après une première cocufication, plus personne ne chercherait à être un couple. La jalousie nous ramènerait incontestablement vers le célibat le plus assumé. Si on se souvenait réellement, la notion de couple disparaitrait inévitablement.


Et plus personne ne prendrait de risques, aussi minimes soient-ils. Le souvenir de la douleur serait beaucoup trop vif. Tout le monde ferait comme moi, sportive sociale, et arrêterait de jouer à la balle (après six longues années d'efforts infructueux) après avoir reçu sur le bras un relais du deuxième au premier but. Ou de faire du rollerblade après s'être patiemment arraché les cailloux incrustés dans le genou. Ou de courir après... ben après sa première course du printemps là...


Au moins, plus personne ne prendrait le volant après avoir bu puisque plus personne ne boirait. Et même que plus personne ne conduirait après, un jour, comme moi, avoir gravi, de reculons, le mur du centre de du Vallon.


Une chance que la mémoire oublie. Sinon, plus personne n'aurait d'enfants. Encore moins par voie vaginale. (D'ailleurs, pourrait-on me présenter celui qui a nommé le vagin ainsi... parce que j'aurais quelques mots à lui dire concernant la sonorité dudit mot. Pas de danger que ce soit cute, non : VAGIN... Un v et un g dans le même mot, ça peut pas être beau!) (Je viens ti juste d'écrire vagin en lettres majuscules dans un de mes textes, moi!? Nice!!!) Personne ne voudrait revivre les interminables nuits, les interminables crises, les interminables pleurs, les interminables matins, les interminables inquiétudes. PARSONNE.


Cette mémoire qui oublie, c'est elle qui nous permet de continuer. De recommencer. De persévérer. D'espérer. De persister. De réessayer. De poursuivre. De croire. D'aspirer. De vivre.


Certains, d'ailleurs, ont la mémoire plus courte que d'autres. Ils ont cette faculté de tourner la page. De ne pas laisser la vie laisser ses traces. Ils ne regardent pas derrière et foncent. Ils semblent heureux, insouciants. Et il y a ces autres, ceux qui sont marqués par le passé, par les douleurs gravées. Ceux qui apprennent trop, qui retiennent trop. Ils ont le front préoccupé.


Et il y a le Québec.


Dont la devise est "Je me souviens".


Mais qui semble trop vite pardonner. Qui semble trop vite effacer, éponger, gracier. Qui semble trop vite oublier.


Il y a ce Québec, dont je suis amoureuse, qui dit se souvenir, mais qui a choisi de retourner avec son ex malgré le mal qu'il en a dit, malgré la haine qu'il a ressentie, malgré sa trahison, malgré ses bâillons, malgré ses lois imposées, ses discussions avortées. Malgré ses nombreuses cocufications.


Québec, je suis en berne. Tu as la rancune molle, tu as l'animosité fragile, tu as l'hostilité débonnaire.


Québec, tu oublies vite, mais tu apprends peu.









1 commentaire:

  1. "Je viens ti juste d'écrire vagin en lettres majuscules dans un de mes textes, moi!? Nice!!!"

    Vous avec reçu le badge: Texte sugestif!

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