jeudi 24 avril 2014

Qui n'a pas de mémoire doit avoir des jambes

J'ai toujours rêvé de réaliser un record Guinness. Quand j'étais jeune, mon moniteur de terrain de jeux avait réussi le record du plus grand nombre de push-up en une minute : puissant, viril, spectaculaire. Tout pour faire frétiller les ovaires encore naïfs des gamines et grimper en flèche la testostérone novice des petits hommes.


Cependant, mises à part quelques habiletés ridicules, je ne savais rien faire qui puisse mériter d'entrer dans les records.


Je sais bouger mes narines et mes oreilles. Je sais lever un sourcil indépendamment de l'autre, et même faire avec eux la vague si je suis vraiment en forme. (D'ailleurs - parenthèse - la dextérité du sourcil permet une grande flexibilité sur le plan de la démonstration des émotions telles que l'incrédulité - un seul sourcil levé accompagné d'un mouvement de tête du même côté - ou la réflexion - un sourcil à la fois est tiré vers le haut en alternance avec l'autre, accompagné cette fois d'un son grave (habituellement heeeeeu ou mmmmmm) et parfois même d'un mouvement de bouche qui se tord à la recherche d'une réponse satisfaisante. (Si mon voisin est présentement en train de m'espionner, il doit se demander si je pratique un genre de cross-fit du visage...) Fin de la parenthèse.) Je sais tenir en équilibre sur mes bras, les deux genoux accotées sur un de mes coudes, les jambes parallèles au sol. (Z'êtes pas en train d'essayer là? Voilà ce dont je parle, pour les visuels.) Je suis capable, et je sais, je suis dégueu, de virer mon annulaire à l'envers jusque sur le dessus de ma main. (Cette fois, je n'ai pas trouvé de photo, lecteur dégoûté.) Je fais aussi quelque chose de bizarre avec mon coude qui fait invariablement crier tous mes élèves quand je leur montre. Mais à part épater la galerie, mes habiletés sont totalement inutiles.


Le pire, ce sont mes habiletés mentales.


Certains retiennent les numéros. Pratique. Moi, je retiens les paroles de tounes : pars-en une, je la continue. Fais attention aux mots que tu emploies, s'ils ressemblent à ceux d'une chanson, je la chante. Je retiens des slogans. Des vers. Des répliques entières de films. Bref, des mots. PAS pratique.


D'ailleurs, dans mon cerveau, les mots qui prennent inutilement beaucoup trop de place, ce sont les proverbes. Ils entrent, se faufilent et trouvent dans mes neurones un endroit propice à leur installation permanente. Ils se creusent un solage, construisent des bloc-appartements et forment un guetto parce que, c'est bien connu, qui se ressemble s'assemble. Et ils tentent inopinément de s'introduire dans mes conversations. Je les fais taire parce que celui qui sort toujours un proverbe a terriblement l'air pédant et que parfois, aux yeux du sot, la parole du sage semble une sottise. Mais vous devriez les voir me traverser le cerveau tels des éléphants hyperactifs dansant entortillés dans le kit de lumières de Noël. Ils sont beaux, ils ont encore l'innocence de croire qu'ils sont à la mode, qu'on cherche le meilleur d'entre eux à la fin d'un texte en guise d'ouverture dans une conclusion. Et parce que la naïveté est l'opium des êtres blasés et que je reste persuadée qu'il n'y a qu'un malheur, celui d'être cynique, je leur laisse croire qu'on leur accorde l'importance qu'ils méritent.


Et je tente de construire les miens, des proverbes avec mes propres verbes. Parce que je suis autonome de la réflexion. Parce que la pensée est l'exercice de l'intelligence, comme un bench press du cerveau. Parce que j'aime les acrobaties des mots. De la pensée. Leur flexibilité.Un genre de yoga des idées. Et ces beaux mots tournent inlassablement dans ma tête, faute d'en sortir, et m'empêchent de dormir. Et c'est en noir que je vois la nuit puisque dans l'insomnie, tout s'agrandit ou s'amenuise, comme un écart de mémoire qui nous livre aux erreurs de mensuration.


Et j'apprivoise tranquillement ces mots qui veulent devenir grands. Je les couche sur mon écran en toute connaissance de prose. Je suis réaliste, lecteur étourdi : jamais ma mémoire des mots ne me fera gagner un record Guinness.


Alors pour pallier l'absurdité de mes habiletés, je vais continuer le cross-fit qui me fait souffrir le corps depuis deux semaines. Qui sait ? Peut-être que je battrai le record de push-up de feu mon moniteur de terrain de jeux?


Ce qu'il y a de plus criminel au monde, c'est l'absence de naïveté.
Read more at http://www.dicocitations.com/citations-mot-naivete.php#wR4a4s6TQmHEEQzE.99
Ce qu'il y a de plus criminel au monde, c'est l'absence de naïveté.
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