lundi 26 août 2013

À tous les grands de ce monde

Chu petite. En général, je m'aime ben. Mais mauzus, j'ai un défaut de fabrication majeur : chu petite. Je devrais porter en permanence à mon cou, tel à un rétroviseur de char, une pancarte d'handicapé. Ah, je vous entends déjà vous insurger : "Arrête de te plaindre! Tu as tes deux bras, tes deux jambes, tes yeux, tes oreilles, ton nez, des genoux, des coudes, un nombril, un cerveau relativement en bon état, comment peux-tu ainsi te répandre dans ton malheur?" Bon, oui. Je sais tout ça. Je ne suis pas vraiment handicapée. Je veux juste dire que dans un monde de grands - ou du moins de plus grands que moi - je suis handicapée.

Vous doutez. Je le sais, je vous vois regarder votre écran avec un sourcil relevé, incrédule. Avez-vous déjà essayé d'être petit? Oui, ok. Non, je sais, ma question est mauvaise. Tout le monde a déjà été petit. Mais c'est pas pareil. Quand vous étiez petit, il y avait un grand, généralement appelé "adulte", qui s'occupait de vous. C'est pour ça que les adultes sont indispensables, parce qu'ils sont grands. Mais diantre! Que fait-on quand on est un petit adulte? (Parce que faut dire que je m'y suis fait, je suis une adulte. J'ai une carte de crédit et un lave-vaisselle. Pis en plus, j'ai un peu deux enfants. Mais je m'éloigne du sujet là.) Je réitère donc ma question : que fait-on quand on est un petit adulte?

Je vous réponds : on fait un peu pitié.

Le pire, évidemment, c'est quand on se retrouve dans une foule. N'importe laquelle. Il y en a des pires que d'autres, mais toute proximité avec une grande quantité d'adultes grands est un supplice. En fait, plus la proximité est grande, plus grand est notre désarroi. (N'est-ce pas qu'il est drôle, ce mot, désarroi, au singulier... Me semble que je lui mettrais un s. Pourtant, quand l'emploie-t-on au pluriel?! Je sais, je m'éloigne...) Vous tenterez l'expérience, vous, grand adulte suspicieux au sourcil relevé. Quand vous serez dans une foule, baissez-vous à ma hauteur. Cinq pieds deux et quart, que je mesure. (Ben non, je sais, je ne suis pas naine. Et il y a des plus petits que moi. Mais là, c'est vous qui vous éloignez du sujet. Je n'ai jamais dit que j'étais naine! J'ai juste dit que j'étais handicapée de la hauteur!) Alors faites le test. Et observez ce que vous voyez. Hein? Vous voyez quoi, hein? Hein??? RIEN!!!!! Rien PANTOUTE!!!! Non. J'hyperbolise. J'exagère encore, pour le show. On voit ketchose. On voit quoi? Regardez mieux là. On voit quoi? DES ÉPAULES ET DES DOS. C'est ça qu'on voit! Wow! C'est l'fun hein! Pis là, parce que vous êtes dans un spectacle du Festival d'Été de Québec sur les plaines d'Abraham (Ben oui! Vous ne le saviez pas hein?), tentez maintenant de voir la scène. Nooooon, vous n'êtes pas dans la pente proche de l'arbre. Vous avez, parce que vos amis étaient crinqués, tenté de vous faufiler jusqu'en avant, puisque là, l'ambiance est festive. Inévitablement, vous vous rendrez compte que des dos, ça n'a rien à se garocher dans un mur. Vous allez, indubitablement et inutilement, vous percher sur la pointe de vos pieds, tenterez malencontreusement de rassembler des canettes de bière et un tas de roches pour y grimper et voir au moins les écrans géants. Ou bedon juste les spots de la scène, please! Ou encore, quand vous irez faire la file pendant deux heures pour voir Roger Waters, vous prévoirez le coup, et vous trainerez, dans votre sac, des blocs de styrofoam sur lesquels vous vous jucherez. Malgré tout, devinez quoi. Vous ne verrez rien!!! Parce que, loi de Murphy oblige, il y aura assurément un gars de huit pieds dix avec des épaules de joueur de football qui viendra se placer devant vous.

Pire encore, (vous ne vous doutiez pas qu'il pouvait avoir pire, hein!), puisque vous êtes désormais petit, à votre désarroi (encore ce mot!) grandissant, vous deviendrez immanquablement un passage potentiel pour tous les grands crinqués qui tentent d'augmenter leur niveau de délire en se rapprochant de la scène. Du haut de leur hauteur, ils auront l'impression qu'à votre place, il n'y a personne, puisque du bas de votre basseur, votre tête sera cachée par les épaules des voisins. Tous les crinqués de cette foule se diront : "Tiens, tiens, un passage!" et se dirigeront vers vous. Il se créera donc un genre d'autoroute de crinqués devant vous. Je vous vois, devant votre écran : vous vous relevez tranquillement, vous en avez déjà assez d'être petit. Mais restez à ma hauteur, encore une petite (sic!) minute. Je sais que c'est pénible, pas loin du supplice, parce que s'en suit la parade des crinqués avec leurs sacs à dos que vous recevrez directement dans la face et les inévitables bousculades de crinqués qui ne vous avaient pas vu. En quelques mots : vous ne verrez rien du show, le son sera évidemment atténué par tous les grands de ce monde qui vous bouchent la vue et vous aurez l'impression de nager dans un blender.

Et que ferez-vous, vous qui savez ce que c'est que d'être petit, quand vous choisirez votre place dans une foule, hein? Vous, qui connaissez ce handicap, vous regarderez derrière vous pour vous assurer que le géant de huit pieds dix voit bien, que vous ne lui cachez pas la vue. Ironique, non?

Je pourrais continuer encore longtemps et me lamenter sur la hauteur standard des comptoirs de cuisine, sur l'impossibilité d'atteindre les armoires du haut sans grimper le mont Kilimanjaro, sur le défi presque insurmontable que représente l'achat de pantalons avec la coupe du genou à la bonne place, sur les torticolis à force de regarder les gens de bas ou sur l'incapacité de conduire certaines voitures sans utiliser un bottin téléphonique, mais je m'abstiendrai. Je pense que vous avez compris mon handicap. N'est-ce pas?

Grands de ce monde, vous qui savez maintenant ce que c'est que d'être handicapé, suivez désormais cet adage : "Il faut toujours se placer derrière plus petit que soi."

(Vous avez le droit de vous relever, là, vous avez l'air un peu con...)

2 commentaires:

  1. Quelle vérité!
    La grandeur est invisible...
    Marielle

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  2. J'ai encore beaucoup ri (oups!). Merci! Ça commence bien la journée de rire, à 4h45 du matin...
    Trichat

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