mercredi 4 septembre 2013

Un gars, c't'un gars.

Je suis une fille. J'aurais toujours voulu être un garçon, surtout pour pisser joyeusement debout dans les buissons des plaines le soir de la Saint-Jean. Mais c'est plutôt difficile puisque je suis une fille. Je ne porte pas de talons hauts, j'ai mis du Cutex une seule fois, il y a deux semaines, et je le laisse s'écailler, insouciante, en le grattant puérilement un peu tous les jours et j'arbore, depuis quelques années à peine, la boucle d'oreille. Donc je ne suis pas une pure et dure. Mais tout de même, je suis une fille.

Jeune, parce que je le suis de moins en moins, je jouais à des jeux de filles. J'exécrais d'ailleurs tout jeu de ballon parce que je finissais inévitablement par en manger un dans l'œil. D'ailleurs, j'ai toujours pensé que cet œil, à force d'ingérer trop de ballons, avait perdu toute faculté d'évaluer correctement la distance ballon-moi. Ou encore il n'a jamais eu cette faculté, c'est une autre possibilité. Et je suis mal faite, il y a mes pieds, aussi, qui sont trop petits et qui ne me tiennent en équilibre ni sur des skis ni sur des patins. Je n'ai non plus jamais eu aucun intérêt pour quelque arme que ce soit : épée, fusil, arc, flèche, sling-shot, couteau, fourchette... ah! sauf pour les guns à eau, ça c'est vraiment drôle dans les réunions de profs à l'école.

Mes parents ont essayé, un jour, de me convertir aux Tonka et mon frère aux Barbies. Bon... Faut dire qu'ils lui avaient acheté une Barbie esquimaude, ça aidait pas. Pas que je n'aime pas les Esquimaux, je n'en connais aucun. C'est juste qu'elle faisait bizarre dans la décapotable de Ken avec son Anorak poilu. Tsé. Pis le Tonka, mon frère l'aimait ben. Faque on a consensuellement échangé nos cadeaux mutuels. Pour une fois qu'il y avait consensus entre lui et moi...

Bref. Je suis une fille.

Et mon gars, lui, est un gars.

Et je ne comprends pas toujours ses jeux. Le hockey, je comprends. Les blocs, les outils, je vois l'intérêt. Mais par-dessus tout, mon fils, ce qu'il aime, ce sont les véhicules. Avec des roues, un moteur : mon gars, c'est un gars d'char. Et ça, je comprends moins. L'autre fois, il a rencontré le chum de mon amie qui est mécanicien. Osmose. Jubilation. Et exagérément de lumière dans ses yeux. L'hiver, tous les jours de sa petite vie d'enfant qui ne savait même pas parler, mon gars, il se garochait dans la fenêtre pour voir la charrue passer et vivait un deuil démesuré quand elle quittait notre rue. Mon gars, il marchait à peine qu'il reconnaissait déjà une douzaine de marques de voitures. Que de données inutiles dans sa petite tête! Mon gars, il utilise ses camions pour ranger son bordel. Il se prend pour une pelle mécanique quand il mange. Il se penche comme sur une moto quand il roule sur son vélo. Il fait des sons de moteur quand il court. Il couche avec vingt-huit petites autos stationnées dans son lit. Mon gars, c'est un gars d'char.

Mais pire encore, vous allez le constater, ses champs d'intérêts s'éloignent de plus en plus considérablement des miens : mon gars, son obsession, ce sont les CAMIONS DE POUBELLES. Il porte un amour incompréhensible à tout ce qui est en lien, de près ou de loin, avec les camions de VIDANGES. Là, il me perd. Déjà que les véhicules en général n'ont pour moi qu'une seule utilité, me déplacer, je peinais à comprendre sa relation avec les véhicules lourds. Mais là, expliquez-moi kekun!! Pourquoi les ordures?! Le jeudi, il me répète ad nauseam que c'est la journée des poubelles. Et le mercredi, c'est à la garderie que c'est la journée des poubelles. Et il est bien intrigué par les voisins qui sortent leurs bacs de poubelles un soir à l'avance. Et il a ce jouet, dont la benne s'arrache trop souvent mais qu'il n'est pas capable de réparer seul, dont il ne se sépare jamais. Et plein de morceaux de carton qu'il déchire en guise d'ordures et qu'il ramasse inlassablement avec son camion. Et Youtube, sur lequel il veut férocement écouter des vidéos de camions de poubelles... (D'ailleurs, quelqu'un peut m'expliquer ce genre de vidéo, qu'on retrouve en quantité infinie, filmé par un adulte, mettant en scène un ADULTE jouant avec des jouets d'enfants? Est-ce qu'il y a réellement des parents qui ont tant de temps à perdre?! Video bizzzzz )

Bref, j'essaie. Fort. Mais sa passion sauvage pour les ordures me laisse de glace. Même que ça me fait sentir un peu coupable de m'y intéresser si peu. Et je me convaincs qu'il n'est qu'un petit garçon et qu'il ne vient toujours ben pas de m'apprendre, l'œil convaincu, qu'il veut devenir éboueur. Que c'est son rêve. Que mes REEE, il n'en a pas besoin finalement. Qu'il a envie, lui, de vivre dans les odeurs nauséabondes le reste de ses jours. Que c'est sa vie après tout et qu'il a bien le droit d'en faire ce qu'il veut. Et qu'il n'y a pas de sots métiers. Que je suis pleine de préjugés et que je ne l'ai jamais aimé tel qu'il est. Et je dramatise un peu. Pis après je relativise. Je me dis que dans le fond, s'il veut devenir éboueur, il a ben l'droit. Et je me sens un peu coupable de le juger, de tenter de détruire son rêve sous prétexte que sa passion n'est pas la mienne. Et qu'il n'y a pas de sots métiers. Parce que sur son mur, avant même qu'il naisse, j'avais peint une citation de St-Exupéry. Paroles qui valent plus à mes yeux qu'une incompréhension ou que nos différences fondamentales. Et je finis par convaincre mon monologue intérieur de fermer sa gueule parce que ces mots, je ne veux pas qu'ils ne restent que des mots : "Fais de ta vie un rêve et de tes rêves, une réalité."

La fille, elle va devoir comprendre que son gars, c't'un gars.

3 commentaires:

  1. J'essuie mes larmes pour écrire tant j'ai ri et reconnu mon fils. Du haut de ses 19 mois, il veut écouter des vidéos de n'importe quoi qui a un moteur. Pu capable de me taper le défilé des pompiers de Pincourt 2011 sur youtube!!!! En auto, il dit «encow» quand le modèle de véhicule qu'il a vu lui plaît... (comme si je contrôlais le trafic moi!) Merci pour cette rigolade de fin de soirée.

    D'une mère de gars de Maaaaaaaaaaammmm vrrrrouum et prof aussi à une autre!

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  2. J'espère que ton gars aura la chance de lire ça un jour! Une passion qui passera peut-être mais il se souviendra d'où il vient. Et il sortira les poubelles toujours à temps le mercredi.
    l'insomnie te va bien Marie.
    Manue

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  3. Très beau texte! Je me suis reconnue, moi qui est une fille, mais pas une pure et dure, qui apprend à connaître les intérêts de mes deux garçons. Après les autos, ici c'est les semblants de combat avec tout ce qui peut servir d'armes (jouet, spatule ou autre). Moi qui a toujours détesté ces jeux "trop violents", j'apprends à accepter que ça fait partie du développement normal de la moitié de la population!

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